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En 1996, selon l'UNPD et la "World Population Prospects", 75 % du total des mutilations par excision avec infibulation sont effectuées dans seulement 7 pays : Égypte, Éthiopie, Érythrée, Kenya, Nigeria, Somalie et Soudan. Certains de ces pays atteignent des taux records : en Somalie et à Djibouti, 98% des petites filles sont mutilées. En Égypte, au Burkina-Faso, au Mali, en Gambie, ce taux dépasse 80%. Au Tchad, au Bénin, au Togo, au Libéria, en Côte-d'Ivoire, une fillette sur deux subit cette mutilation.

La libre critique des religions est un droit fondamental à ne pas confondre avec racisme et xénophobie. Nous condamnons toute incitation à la guerre des cultures, des ethnies, des religions ; et invitons toutes les populations à l'entente civique, pacifique, laïque...

Dénoncer les Mutilations massives

Sami A. ALDEEB ABU-SAHLIEH est Docteur en droit ; diplômé en sciences politiques; collaborateur scientifique responsable du droit arabe et musulman à l'Institut Suisse de droit comparé, Lausanne; chargé de cours à l'Institut de droit canonique de l'Université de sciences humaines à Strasbourg. Ce texte est l'intégralité du brillant exposé sur la circoncision et l'excision, reproduit ici avec son autorisation, qu'il a publié sur son site web. Vu l'ampleur de ce phénomène - dont les enfants sont les principales victimes - et la gravité du sujet, cette thèse très complète, par un des plus grands spécialistes mondiaux du droit arabe et musulman, s'imposait. D'autres informations annexes se trouvent au bas de cet exposé ainsi qu'une bibliographie - en cliquant sur les chiffres entre parenthèses [*].

 

Mutiler au nom de Yahvé ou D'Allah
Légitimation de la circoncision masculine et féminine

par
Sami A. ALDEEB ABU-SAHLIEH

 

Introduction

 L'article 24 alinéa 3 de la Convention relative aux droits de l'enfant du 20 nov. 1989 stipule :
Les Etats parties prennent toutes les mesures efficaces appropriées en vue d'abolir les pratiques traditionnelles préjudiciables à la santé des enfants[1] .

En 1984, la Présidente du Comité inter-africain affirmait :
"La conception erronée de la religion a joué un rôle important dans le maintien de la pratique de l'excision et d'autres pratiques qui ont tendance à reléguer la femme dans une position inférieure par rapport à l'homme " [2] .

En avril 1987, la Vice-Présidente du Comité inter-africain revint à la charge :
" Je demande des tactiques plus agressives pour stopper l'infibulation. Je lance un appel pour un soutien plus actif surtout de la part des chefs religieux de l'Islam, étant donné qu'il a été confirmé à maintes reprises que cette pratique est contraire aux préceptes de l'Islam " [3] .

Dans l'esprit de ce comité, la religion et les chefs religieux musulmans jouent un rôle important en matière de circoncision féminine. Cette étude vise à étudier ce rôle en ce qui concerne aussi bien la circoncision féminine que la circoncision masculine. Nous éviterons volontairement toute utilisation du mot Islam, notion abstraite, et nous nous concentrerons sur les sources écrites du droit musulman et les opinions d'auteurs arabes contemporains principalement d'origine égyptienne.

 

 

Chapitre I - Définitions et distinctions

I. Terminologie

La langue française utilise différents termes pour désigner les mutilations sexuelles. En règle générale, on parle de circoncision pour les garçons, et de circoncision, d'excision et d'infibulation (selon le cas) pour les filles. Dans cette étude, nous utiliserons les termes circoncision masculine et circoncision féminine[4] .

La langue juridique arabe emploie le mot khitan pour la circoncision masculine et le terme khafd ou khifad pour la circoncision féminine. Mais la langue courante utilise le terme khitan pour ces deux mutilations. On parle aussi de taharah, ce qui signifie purification, ces mutilations étant supposées purifier ceux qui les subissent[5] .

II. La circoncision masculine et féminine

La circoncision féminine provoque un débat public passionné en Occident. Plusieurs organisations nationales, non-gouvernementales et internationales s'y intéressent[6] .Ce débat a un certain écho dans le monde arabe. Les milieux féministes réclament son abolition alors que les milieux religieux musulmans essaient, le plus souvent, de justifier la circoncision féminine seulement sous la forme dite sunnah, jugée conforme à la tradition de Mahomet[7] . On trouve, par contre, très peu d'intérêt pour cette question dans les ouvrages juridiques arabes[8] . Le corps médical arabe ne semble pas non plus trop s'y intéresser; composé d'une majorité d'hommes, il perpétue des valeurs morales et sociales qui prédominent dans sa société et l'empêchent de voir plus loin[9] .

Contrairement à la circoncision féminine, la circoncision masculine n'intéresse presque personne[10] . Le débat sur cette question reste encore tabou. Cette attitude est observée dans l'article 24 alinéa 3 susmentionné de la Convention relative aux droits de l'enfant. Malgré sa formulation générale, les Travaux préparatoires démontrent que ses auteurs ne pensaient qu'à la circoncision féminine, et nullement à la circoncision masculine[11] .

La distinction qui est faite entre la circoncision masculine et la circoncision féminine se justifierait pour des raisons médicales et culturelles. Selon Wedad Zenie-Ziegler, une égyptienne :

Il n'y a pas de similitude entre la circoncision des garçons, mesure prophylactique recommandée pour les garçons dans presque toutes les sociétés, et la circoncision des filles dont le but principal est d'atténuer, sinon de réprimer, le désir sexuel chez les femmes[12] .

Lors du Séminaire de l'ONU à Ouagadougou, la majorité des participants était d'avis que les justifications de la circoncision féminine tirées de la cosmogonie et celles issues de la religion "doivent être assimilées à la superstition et dénoncées comme telles" puisque "ni la Bible, ni le Coran ne prescrivent aux femmes d'être excisées". Elle a recommandé "de faire en sorte de dissocier, dans l'esprit des gens, la circoncision masculine qui a une fonction hygiénique, de l'excision qui est une atteinte grave à l'intégrité physique de la femme"[13] . Ce raisonnement est sans fondement et très dangereux. Si la circoncision féminine était dans la Bible ou dans le Coran, serait-elle pour autant permise? Et si l'on se mettait à appliquer tout ce que dit la Bible ou le Coran, à commencer par la loi du talion?!

Un autre son de cloche chez Ghita El-Khayat-Bennai, une marocaine :
" Les femmes ne sont pas seules à subir des mutilations sexuelles. Tous les Juifs par exemple de par ce monde sont circoncis à l'âge de sept jours, sans que leurs parents ne s'en émeuvent... Ils continuent à circoncire leurs enfants mâles, même s'ils savent que c'est un événement extrêmement traumatisant pour l'enfant, préférant exposer le petit garçon à cette souffrance plutôt que d'affronter leurs terreurs et tabous culturels d'adultes "[14] .

Geneviève Giudicelli-Delage écrit :
"
Sans doute, les conséquences sont-elles moindres pour la circoncision [masculine] que pour l'excision [féminine] (quoique certaines pratiques d'excision légère puissent apparaître assez équivalentes à une circoncision [masculine] ). Mais, de toute manière, se placer sur le terrain des conséquences serait une erreur. La coutume justifie des actes les plus graves, même la mort; l'essentiel n'est pas l'acte mais la culture. Si une famille malienne peut, en France, faire circoncire son fils mais ne peut faire exciser sa fille, c'est que la circoncision masculine appartient à un ordre culturel qui, peu ou prou, est le nôtre, à cet ordre judéo-chrétien qui est le creuset de notre culture, et que cet ordre ne connaît pas et n'a jamais connu l'excision "[15] .

Pour le Docteur Gérard Zwang, la raison de la distinction entre ces deux types de circoncision est simple : la plupart des sexologues et des responsables de l'information sont des circoncis; ils empêchent tout débat autour de la circoncision masculine[16]

La logique juridique rejette la distinction entre la circoncision masculine et la circoncision féminine, toutes deux étant des mutilations d'organes sains et, par conséquent, une atteinte à l'intégrité physique de l'enfant quelles que soient les motivations religieuses et les superstitions qui les sous-tendent[17] .

III. Pratique de la circoncision masculine et féminine

La circoncision masculine est pratiquée par tous les musulmans et tous les juifs ainsi que par certains chrétiens, comme c'est le cas des chrétiens d'Egypte. Elle est aussi pratiquée par des tribus animistes d'Afrique.

Quant à la circoncision féminine, elle n'est pratiquée ni par tous les musulmans ni par tous les arabes. En effet, une grande partie, pour ne pas dire la majorité des pays du Maghreb, tout comme la Turquie et l'Iran, ignorent cette coutume[18] . On la retrouve par contre chez les chrétiens égyptiens[19] ainsi que chez les juifs éthiopiens (les Falachas)[20] qui, vraisemblablement, continuent à la pratiquer encore aujourd'hui en Israël comme le font les Africains partis en France. Le Soudan (98%), la Somalie (98%) et l'Egypte (75%) figurent parmi les plus grands pays arabes qui la pratiquent. Dans ce dernier pays, 97.5% des familles inéduquées imposent la circoncision à leurs filles, contre 66.2% des familles éduquées[21] . D'autres pays arabes la pratiquent : le Yémen, les Emirats arabes unis, le Bahrain, Qatar, Oman, certaines régions de l'Arabie, la Mauritanie. Elle serait aussi pratiquée par certains musulmans de pays asiatiques comme l'Indonésie, la Malaisie, le Pakistan et l'Inde sous le nom de circoncision sunnah, donc avec une référence à la religion. Mais les données exactes dans ce domaine font défaut. En Afrique, 28 pays la pratiqueraient, dont de nombreuses tribus animistes; elle toucherait environ 75 millions de femmes[22] .

Souvent, la circoncision féminine et masculine est faite sans anesthésie, d'une manière barbare, par des personnes sans formation médicale, des barbiers ou des sages-femmes, avec des instruments rudimentaires donnant lieu à des complications qui mènent parfois à la mort. Nous disposons de nombreux témoignages accablants sur la circoncision féminine mais d'aucun témoignage sur la circoncision masculine puisque cela n'intéresse personne. Pourtant, j'ai dans mes oreilles, aujourd'hui encore, les cris de mes petits voisins musulmans circoncis quand j'étais jeune.

Citons ici le plus court et le moins horrible témoignage de femme, celui de Samia, musulmane, née dans un petit village égyptien près de la frontière soudanaise et qui vit au Caire :
" J'avais sept ans lorsque j'ai été excisée. Je me souviens des récits des femmes de mon village qui parlaient de cette opération comme si leur vie s'était arrêtée là. L'atrocité de leurs descriptions et en même temps le sentiment d'une fatalité à laquelle je ne pourrais pas échapper, avaient provoqué en moi une telle panique que lorsque arriva le jour tant redouté, je fus prise de vomissements. Ce qui se passa alors est encore si brûlant dans ma chair qu'il m'arrive souvent de me réveiller en pleine nuit en hurlant et d'appeler ma mère "[23] .

La victime est habituellement mutilée, sans anesthésie, en décubitus dorsal, les cuisses maintenues écartées par des aides, ou par un(e) seul(e), couché(e) sous la jeune fille et lui crochetant les chevilles avec les pieds. Pour immobiliser une fille de sept ans, il faut parfois l'intervention de cinq personnes pour tenir la tête, les deux mains et les deux jambes. Quand il s'agit d'une petite fille, un(e) seul(e) assistant(e) peut lui maintenir à la fois le corps et les cuisses, l'immobilisant en position assise.

On distingue plusieurs catégories de circoncisions masculines :

  • la circoncision proprement dite : elle consiste à exciser totalement ou partiellement le prépuce
  • la phalloctomie;
  • la castration;
  • l'émasculation.

Seule la première catégorie nous intéresse ici en raison de la fréquence de sa pratique et de son caractère rituel. Les trois autres catégories semblent être peu pratiquées et nous ne disposons pas de matériel suffisant à leur sujet[24] .

On distingue aussi plusieurs sortes de circoncisions féminines :

  • La circoncision féminine dite sunnah, ou en conformité à la tradition de Mahomet. Les milieux religieux qui défendent cette forme de circoncision féminine ne précisent pas toujours en quoi elle consiste. Selon un auteur classique, Al-Mawardi, "elle se limite à couper la peau en forme de noyau qui se trouve au sommet de l'organe. On doit donc en couper l'épiderme protubérant, sans aller jusqu'à l'ablation"[25] . Pour le docteur Hamid Al-Ghawabi, il s'agit de couper aussi bien le clitoris que les petites lèvres[26] . Selon le docteur Mahran, on excise le capuchon du clitoris ainsi que les parties postérieures les plus importantes des petites lèvres[27]
  • La clitoridectomie ou excision. Elle porte sur l'ablation du clitoris ainsi que des petites lèvres. C'est l'opération pratiquée le plus fréquemment en Egypte.
  • L'infibulation ou circoncision pharaonique. Elle est pratiquée notamment au Soudan et en Somalie et consiste en l'ablation totale du clitoris, des petites lèvres et d'une partie des grandes lèvres. Les deux parties de la vulve sont alors cousues ensembles au moyen de points de suture de soie ou de catgut (au Soudan) ou au moyen d'épines (en Somalie) pour que la vulve soit fermée à l'exception d'un minuscule orifice pour le passage de l'urine et du flux menstruel[28] . Au cours de la nuit de noces, l'époux devra ouvrir sa femme, le plus souvent à l'aide d'un poignard à double tranchant. Dans certaines tribus, la femme est recousue à chaque départ du mari et réouverte à chaque retour de celui-ci. On ferme l'ouverture en cas de divorce pour éviter que la femme ait des rapports sexuels[29] .

Signalons que l'Occident a pratiqué dans le passé la circoncision féminine et surtout l'infibulation. Un des modèles de ceintures de chasteté consistait à faire passer des anneaux dans les lèvres et la vulve et à les fermer par un fil de fer ou par un cadenas dont le mari gardait la clef même et surtout quand il s'absentait[30] . En Russie, les Skopotzy (circonciseurs), qui sont des chrétiens, ont pratiqué l'infibulation pour assurer une virginité perpétuelle; ils invoquent l'Evangile de Saint Matthieu 19 : 12 : "Il y a des eunuques qui se sont eux-mêmes rendus tels à cause du Royaume des Cieux"[31] . Une certaine forme de circoncision féminine, pratiquée dans la tribu des Kikuyu du Kenya, serait effectuée aujourd'hui dans certains hôpitaux de Paris pour accroître la capacité de jouissance de certaines femmes aisée. On dégage le clitoris et on le rabat à l'intérieur du vagin. Une telle pratique augmenterait la jouissance sexuelle des femmes[32] .

 

 

Chapitre II Arguments religieux

I. Arguments religieux pour la circoncision

1. Les sources du droit musulman

Sur le plan formel, le droit musulman a deux sources principales : le Coran et les recueils de la Sunnah (tradition : paroles et gestes) de Mahomet, auxquels il faut ajouter l'igtihad, la doctrine des écoles juridiques musulmanes à travers les siècles.

De notre temps, une catégorie particulière de l'igtihad acquiert de plus en plus d'importance. Il s'agit des fatwas, avis des savants religieux musulmans qui, formulées souvent dans un langage accessible au public, indiquent le comportement à suivre pour se conformer à la volonté divine[33] . Bien que non contraignantes juridiquement, les fatwas ne lient pas moins moralement le croyant et constituent parfois la première étape vers la promulgation ou la modification des lois. Elles sont données par écrit ou oralement et font souvent l'objet de publications vendues à large échelle[34] . Nombreuses sont celles qui traitent de la circoncision masculine et féminine.

Nous nous limitons ici aux ouvrages et aux recueils de fatwas modernes principalement égyptiens qui se réfèrent aux ouvrages classiques de droit musulman. Ce choix se justifie par le fait que le public accède rarement aux ouvrages classiques proprement dits.

2. Le Coran

Le Coran ne mentionne ni la circoncision masculine ni la circoncision féminine. Une interprétation extensive du verset 2 : 124 y voit des traces :

Lorsque son Seigneur éprouva Abraham par certains ordres et que celui-ci les eut accomplis, Dieu dit : "Je vais faire de toi un guide pour les hommes".

Un des ordres donnés à Abraham pour l'éprouver serait la circoncision dont parlent certains récits de Mahomet. Or, Abraham est un modèle à suivre pour le musulman en vertu du verset 16 : 123 :

Nous t'avons ensuite révélé : "Suis la Religion (millat) d'Abraham, un vrai croyant"[35] .

On retrouve ici la règle du droit musulman selon laquelle les normes révélées aux prophètes antérieurs à Mahomet sont maintenues tant qu'elles ne sont pas expressément abrogées. Ainsi, la Bible devient, par un système de renvoi, une source du droit pour les musulmans. On y lit :

Dieu dit à Abraham : "... Et voici mon alliance qui sera observée entre moi et vous, c-à-d. ta race après toi : que tous vos mâles soient circoncis. Vous ferez circoncire la chair de votre prépuce, et ce sera le signe de l'alliance entre moi et vous... Quand ils auront huit jours, tous vos mâles seront circoncis, de génération en génération. ... Mon alliance sera marquée dans votre chair, comme une alliance perpétuelle. L'incirconcis, le mâle dont on n'aura pas coupé la chair du prépuce, cette vie-là sera retranchée de sa parenté : il a violé mon alliance"[36] .

La circoncision comme signe d'alliance ne se retrouve que dans deux autres passages de la Bible[37] . Ailleurs, c'est plus épique :

le roi Saül exigea de David 100 prépuces de Philistins pour lui donner sa fille Mikal. "David ... trouva que l'affaire était bonne pour devenir le gendre du roi... Il se mit en campagne... Il tua aux Philistins 200 hommes, il rapporta leurs prépuces et les compta au roi... Alors Saül... dut reconnaître que Yahvé était avec David"[38] .

Cette interprétation des versets coraniques par référence à la Bible  est considérée par l'Imam Mahmud Shaltut comme abusive (israf fi al-istidlal)[39] . On peut y ajouter que cet argument textuel basé sur une norme juive ne concerne que la circoncision masculine, mais non pas la circoncision féminine que la Bible ne prévoit pas et que les juifs ne pratiquent pas (si l'on excepte les Falachas). Al-Sukkari répond que, selon Ibn-Hagar, les juifs circoncisaient les deux sexes, d'où son rejet de la circoncision masculine ou féminine au septième jour pour ne pas leur ressembler. Et même si l'authentique Bible - celle d'aujourd'hui étant considérée comme falsifiée - ne contient pas de texte relatif à la circoncision féminine, les musulmans, malgré cela, doivent la pratiquer si le droit musulman la prévoit[40] .

3. Les recueils de la Sunna

Nous essayons ici de glaner dans les ouvrages d'auteurs arabes contemporains les différents récits de Mahomet relatifs à la circoncision masculine et féminine :

- Le récit le plus cité rapporte une discussion entre Mahomet et Um Habibah (ou Um ‘Atiyyah). Celle-ci, connue comme exciseuse d'esclaves femelles, faisait partie des femmes qui avaient immigré avec Mahomet. L'ayant aperçue, Mahomet lui demande si elle continue à pratiquer son métier. Elle répond par l'affirmative en ajoutant : "à moins que cela ne soit interdit et que tu ne me commandes de cesser cette pratique". Mahomet lui réplique alors : "Mais si, c'est permis. Approche-toi de moi pour que je puisse t'enseigner : Si tu coupes, n'exagère pas (la tanhaki) car cela rend plus rayonnant (ashraq) le visage et c'est plus agréable (ahza) pour le mari". Selon d'autres rapporteurs, il lui aurait dit : "Coupe légèrement et n'exagère pas (ashimmi wa-la tanhaki) car c'est plus agréable (ahza) pour la femme et meilleur (ahab, selon des sources abha) pour le mari". Nous citerons ce récit par la suite sous récit de l'exciseuse.

- Mahomet dit : "La circoncision est une sunnah pour les hommes et makrumah pour les femmes". Nous reviendrons sur le sens de ces deux termes.

- S'adressant aux femmes des Ansars, Mahomet dit : "Coupez légèrement et n'exagérez pas (ikhtafidna wa-la tanhikna), car c'est plus agréable (ahza) pour vos maris".

- Quelqu'un est venu vers Mahomet et s'est converti devant lui. Mahomet lui dit : "Rase les cheveux de la mécréance et circoncis-toi".

- Mahomet dit : "Celui qui devient musulman qu'il se circoncise même s'il est âgé".

- On demanda à Mahomet si un non-circoncis pouvait faire le pèlerinage. Il répondit : "Non, tant qu'il n'est pas circoncis".

- Mahomet dit : "Cinq [normes] appartiennent à la fitrah : le rasage du pubis, la circoncision, la coupe des moustaches, l'épilation des aisselles et la taille des ongles". D'autres récits nomment dix normes, dont toujours la circoncision. Les normes de la fitrah seraient les normes que Dieu inculqua à sa création. L'homme qui tend à la perfection doit se conformer à ces normes. Ces normes ne sont pas obligatoires, mais simplement recommandables (mandubah), à l'exception de la circoncision qui est obligatoire. Partant de ces prémisses, Al-Sukkari pense qu'Adam a été le premier circoncis. Ses descendants ayant abandonné cette obligation, elle fut reconfirmée à Abraham et à ses descendants. La circoncision serait alors le signe qui distinguerait le croyant du mécréant. A ce titre, elle constitue l'enseigne de l'Islam[41] .

- Mahomet a prescrit : "Si les deux parties circoncises (khitanan) se rencontrent ou si elles se touchent l'une l'autre, il faut faire l'ablution pour la prière". On en a déduit que la femme et l'homme se circoncisaient du temps de Mahomet.

Les shiites ajoutent un récit de l'Imam Al-Sadiq qui dit : "La circoncision féminine est une makrumah, et qu'y a-t-il de mieux que la makrumah"! Al-Sadiq est cité aussi par eux comme le rapporteur du récit de l'exciseuse[42] .

Les défenseurs de la circoncision (masculine et féminine) eux-mêmes admettent que ces récits attribués à Mahomet sont peu crédibles[43] . Mahmud Shaltut dit qu'ils ne sont ni clairs ni authentiques[44] . Le Sheikh Abbas, recteur de l'Institut musulman de la Mosquée de Paris est encore plus formel : " Si pour l'homme la circoncision [masculine] (bien non obligatoire) a un but esthétique et hygiénique, il n'y a aucun texte religieux islamique valable qui puisse être pris en considération pour l'excision de la femme, preuve en est que cette pratique est totalement absente dans la majorité des pays islamiques. Et, si certains peuples continuent malheureusement à pratiquer l'excision au point même de porter préjudice à la femme, cela provient sans doute de coutumes antérieures à l'avènement de ces peuples à l'Islam[45] ".

 4. La coutume et le silence de la loi

La circoncision féminine ayant des bases fragiles dans le Coran et les Recueils de la Sunnah, Al-Sukkari essaie de consolider ces bases en invoquant la coutume qui constitue une source du droit musulman. Pour lui, la circoncision féminine est devenue une norme dans la mesure où elle est générale, pratiquée de longue date et n'est pas contraire à un texte de la loi religieuse.

Il invoque aussi la règle selon laquelle tout ce qui n'est pas interdit est permis. La circoncision féminine, n'étant pas expressément interdite, reste donc permise[46] . Même si les récits relatifs à la circoncision féminine sont crédibles, aucun récit n'est venu l'interdire ou la déclarer blâmable. Une des règles du droit musulman est, qu'il vaut mieux appliquer la norme que de l'abandonner[47] .

Cet auteur oublie cependant que le droit musulman permet de mettre fin à une coutume basée sur l'ignorance. Le Coran dit à cet effet :

Lorsqu'on leur dit : "Venez à ce que Dieu a révélé au Prophète", ils répondent; "L'exemple que nous trouvons chez nos pères nous suffit". Et si leurs pères ne savaient rien? Et s'ils n'étaient pas dirigés? (5 : 104).

D'autre part, il renverse la règle. Au lieu d'avancer comme principe l'intégrité physique, il plaide indirectement pour le principe de la mutilation.

II. Arguments religieux contre la circoncision

1. Dieu ne peut mutiler

Cet argument se résume en ceci : Peut-on concevoir un Dieu qui se complaît à mutiler ses créatures dans le but de les marquer comme on marque du bétail? Docteur Nawal El-Saadawi, égyptienne, elle-même excisée, écrit :

" If religion comes from God, how can it order man to cut off an organ created by Him as long as that organ is not deseased or deformed? God does not create the organs of the body haphazardly without a plan. It is not possible that he should have created the clitoris in women's body only in order that it be cut off at an early stage in life. This is a contradiction into which neither true religion nor the Creator could possibly fall. If God has created the clitoris as a sexually sensitive organ, whose sole function seems to be the procurement of sexual pleasure for women, it follows that He also considers such pleasure for women as normal and legitimate, and therefore as an integral part of mental health[48] .

It has very often been proclaimed that Islam is at the root of female circumcision, and is also responsible for the under-privileged and backward situation of women in Egypt and the Arab countries. Such a contention is not true... Religion, if authentic in the principles it stands for, aims at truth, equality, justice, love and a healthy wholesome life for all people, whether men or women. There can be no true religion that aims at disease, mutilation of the bodies of female children, and amputation of an essential part of their reproductive organs[49] .

Cet argument est repris par Renée Saurel. Elle écrit :

" Le Coran à l'inverse du christianisme et du judaïsme autorise et recommande de dispenser à la femme le plaisir physique et mental retrouvé à deux au cours de l'acte d'amour. Et des chairs éclatées, suppliciées et amputées n'ont jamais concouru à la jouissance, à la bénédiction d'avoir reçu en partage la faculté de rechercher le plaisir et de fuir la douleur[50] ".

Les deux sources susmentionnées se réfèrent à la religion, à l'islam, au christianisme et au judaïsme. Ce sont des notions abstraites qui comportent des éléments des plus contradictoires. Il est préférable de se référer à des sources écrites qu'à des notions abstraites. A relever aussi que cet argument est valable contre la circoncision aussi bien féminine que masculine. Ses auteurs, cependant, ne l'invoquent que contre la circoncision féminine.

2. Interdiction de changer la créature

Il n'est pas difficile de retrouver un appui à l'argument précédent dans le Coran lui-même. En effet le verset 4 : 119 du Coran interdit à l'homme de changer la créature de Dieu :

[Le démon dit] : "Oui, je prendrai un nombre déterminé de tes serviteurs; je les égarerai et je leur inspirerai de vains désirs; je leur donnerai un ordre, et ils fendront les oreilles des bestiaux; je leur donnerai un ordre, et ils changeront la création de Dieu".

Ce verset condamnerait le changement de la créature de Dieu. Il est invoqué par les islamistes pour s'opposer à la prévention permanente des naissances que ce soit par des mesures touchant l'homme ou la femme[51] . Etrangement, les adeptes de la circoncision féminine et masculine oublient complètement ce verset. Ils oublient aussi cet autre verset :

[Il] a bien fait tout ce qu'il a créé (32 : 7).

Aziza Kamel, adversaire de la circoncision féminine, invoque ce verset et ajoute : "L'excision est une déformation de ce que Dieu a créé, alors que Dieu est satisfait de sa création"[52] .

3. L'homme connaît mieux ses affaires

Mahomet avait indiqué à des paysans de ne pas pratiquer la pollinisation des dattiers. Cette année-là, les dattiers n'ont pas donné de dattes. Revenus vers Mahomet pour des explications, ces paysans ont reçu pour réponse : "Vous connaissez mieux [que moi] vos affaires temporelles"

Le dernier passage du récit est cité par le Sheikh Hassan Ahmed Abo Sabib, du Soudan, dans son intervention au séminaire sur les pratiques traditionnelles ayant effet sur la santé des femmes et des enfants en Afrique (Dakar, 6-10 février 1984). Armé de ce récit, il conclut que la circoncision féminine doit être interdite parce que la science médicale a prouvé qu'elle est nocive. Or, dit-il, le Coran interdit à l'homme de nuire à lui-même en vertu du verset 2 : 195 : "Ne vous exposez pas, de vos propres mains, à la perdition". D'autre part, Mahomet dit : "Celui qui nuit à un croyant me nuit et celui qui me nuit, nuit à Dieu".

Ce sheikh soudanais n'est pas allé au bout de son raisonnement. Dans le récit des dattiers, Mahomet n'a pas voulu se considérer comme infaillible en botanique, admettant du même coup que les paysans savaient plus que lui en cette matière tout en étant prophète. Appliqué par analogie à la circoncision féminine et masculine, ce récit signifie que Mahomet pouvait bien avoir émis une opinion la concernant, mais son opinion en la matière n'est pas infaillible et pouvait être contredite par la médecine. Notre sheikh ne va pas si loin. Il sépare la réponse de Mahomet de l'ensemble du récit des dattiers et se limite à dire que les récits de Mahomet sur la circoncision féminine ne sont pas fiables en invoquant l'autorité de son homologue l'Imam Shaltut. Il en conclut que la question de la circoncision masculine et féminine doit être jugée en fonction des méfaits et des bienfaits[53] .

Malgré cette petite incohérence, cet avis est le plus explicite que nous connaissons de la part d'un responsable religieux musulman contemporain contre la circoncision féminine.

4. Le cas Al-Mahdawi

Tous les arguments religieux susmentionnés sont cités uniquement et exclusivement contre la circoncision féminine. Bien qu'ils puissent être étendus facilement aussi contre la circoncision masculine, leurs auteurs ne le font jamais. Non sans raison.

En effet, le seul auteur musulman à avoir mis en doute la circoncision masculine est actuellement en procès et risque d'être condamné à mort pour apostasie. Il s'agit du juge à la retraite Mustafa Kamal Al-Mahdawi. Ce dernier, un ami personnel, subit actuellement une campagne féroce menée par les milieux religieux libyens dans les mosquées et la presse. Le prédicateur de la Mosquée du Prophète, à Médine en Arabie séoudite, a publié en juillet 1992 un fascicule distribué gratuitement en Libye où il demande à la Ligue du Monde musulman et à la Conférence islamique d'établir une fatwa collective des savants musulmans contre ce juge et de l'exécuter comme apostat s'il ne se rétracte pas. Quant à son livre, il demande qu'il soit retiré du marché, brûlé et interdit à tout lecteur. Il lui reproche, entre autres, d'avoir nié le devoir de circoncire les garçons alors qu'il y a unanimité à ce sujet et Mahomet lui-même était circoncis[54] .

Ce juge libyen affirme en fait que la circoncision masculine est une coutume des juifs qui croyaient que leur Dieu ne les voyait que s'ils avaient des signes distinctives comme la circoncision ou le sang sur les portes. Il fait ici allusion à l'ordre de Dieu donné aux juifs de mettre le sang du bétail immolé la Pâque sur les deux montants et le linteau des maisons parce qu'il avait l'intention de frapper les premiers-nés d'Egypte. Dieu dit à Moïse et à Aaron : "Le sang sera pour vous un signe sur les maisons où vous vous tenez. En voyant ce signe, je passerai outre et vous échapperez au fléau destructeur lorsque je frapperai le pays d'Egypte"[55] . Le juge libyen ajoute que le Coran ne comporte aucune mention à "cette étrange logique". Pour lui, Dieu ne peut pas s'adonner à de tels badinages[56] comme il ne peut pas avoir créé le prépuce comme un objet superflu qu'on peut couper. Il cite ici le verset 3 : 191 qui dit :

Notre Seigneur! Tu n'a pas créé tout ceci en vain! Gloire à toi! Préserve-nous du châtiment du feu[57] .

 

III. Qualification de la circoncision en droit musulman

Qualifier un acte, signifie le déclarer comme interdit, blâmable, recommandable, permis ou obligatoire. Ce sont les cinq principaux critères de classement des actes du croyant musulman.

Les adversaires de la circoncision, la considèrent comme interdite lorsqu'il s'agit des filles. En revanche, ils ne s'opposent pas à la circoncision des garçons et la considèrent même comme obligatoire.

Quant aux défenseurs de la circoncision masculine et féminine, ils se sont divisés sur la qualification à lui conférer. Trois opinions ont été émises :

1. Obligatoire pour les garçons et pour les filles

L'Imam Ahmad n'admet la prière et le pèlerinage que d'un circoncis. L'Imam Malik refuse l'accès à la fonction publique et le témoignage du non-circoncis. D'autres vont jusqu'à interdire de manger de la viande d'un animal tué par un non-circoncis[58] . Ce courant invoque les raisons suivants :

- le verset 16 : 120 demande à Mahomet de suivre la voie d'Abraham. Or Abraham a été circoncis à un âge avancé, à 80 ans et selon certains à 120 ans, malgré les souffrances que la circoncision pouvait provoquer. Si cela n'avait pas été un acte obligatoire pour Abraham, il ne l'aurait pas fait.

- Les différents récits de Mahomet relatifs à la circoncision cités plus haut.

- A l'époque des compagnons, la circoncision masculine et féminine était pratiquée.

- La non-circoncision masculine et féminine retient l'impureté dans le corps et rend nulle la prière, exactement comme la rétention d'une impureté dans la bouche.

- Selon Al-Mawardi, la circoncision (masculine et féminine) provoque une souffrance. Or la souffrance n'est licite qu'en cas d'intérêt, de punition ou d'obligation. Et puisque l'intérêt et la punition sont à écarter, la circoncision (masculine et féminine) est une obligation[59] .

2. Sunnah pour les deux sexes

Selon ce courant, la circoncision masculine et féminine relève de la sunnah, terme sur le sens duquel les légistes ne sont pas d'accord. Elle peut avoir deux sens : la tradition de Mahomet, ou simplement d'une coutume de l'époque de Mahomet[60] . En tant que sunnah, elle serait recommandable et non pas obligatoire[61] .

Les adeptes de ce courant invoquent le récit assimilant la circoncision (masculine et féminine) à une norme de la fitrah citée plus haut. A ce titre, elle vise à la perfection de l'homme. Tout en étant recommandable, le musulman n'est pas tenu de la pratiquer. Ils ajoutent que de nombreuses personnes ont adhéré à l'islam et jamais Mahomet n'a cherché (sous leurs habits) à savoir s'ils étaient circoncis ou non[62] .

3. Obligatoire pour les garçons, sunnah pour les filles

Les auteurs modernes optent pour cette opinion. Certains précisent qu'il s'agit d'une makrumah.

Al-Sukkari dit que la circoncision masculine est obligatoire à cause des odeurs et des liquides gras répugnants produits et retenus par le prépuce. Cette impureté est un empêchement à la validité de la prière. Or, la pureté étant nécessaire pour la prière, la circoncision devient nécessaire selon la règle juridique qui dit : ce qui est nécessaire pour l'accomplissement d'une obligation devient à son tour obligatoire.

En revanche, n'ayant pas de prépuce et donc n'étant pas sujette à une impureté de ce côté-là, la circoncision féminine n'est que recommandée. Deux raisons fondent cette recommandation :

- réaliser la makrumah que Mahomet lui accorde,

- empêcher de tomber dans l'interdit[63] .

Le terme makrumah est loin d'être clair. Pour le Professeur ‘Abd-al-Wahhab Khallaf, ce terme signifie que la circoncision féminine augmente le plaisir de l'homme"[64] . Shaltut dit que la circoncision féminine est une makrumah pour les hommes qui ne sont pas accoutumés à sentir la partie excédante[65] .

La majorité des opinions cependant traduit ce mot comme un acte louable, méritoire pour la femme. C'est l'opinion du professeur Zakariyya Al-Birri. Pour lui, il convient de pratiquer la circoncision féminine. Celui qui ne la pratique pas, ne commet pas pour autant de péché s'il est convaincu, à la lumière des textes religieux et des conseils des médecins spécialistes, qu'il n'en était pas tenu[66] . Al-Qaradawi laisse le choix aux parents selon leurs convictions, tout en préférant lui-même pratiquer la circoncision féminine parce qu'elle sauvegarde la morale des filles "notamment à notre époque"[67] .

Une fatwa de la Commission de fatwa égyptienne du 28 mai 1949 a aussi déclaré que l'abandon de la circoncision féminine ne constitue pas un péché[68] . Une autre fatwa de cet organisme du 23 juin 1951 est plus rigide. Non seulement elle n'envisage pas la possibilité d'abandonner la circoncision féminine, mais elle considère qu'il est souhaitable de la pratiquer parce qu'elle modère la nature. Bien plus, elle ne permet pas de prendre en considération les avis des médecins sur ses méfaits (voir chapitre III, § III, point 2)[69] .

Une troisième fatwa de ce même organisme du 29 janvier 1981, bien plus détaillée, se montre franchement hostile à l'abandon de la circoncision féminine. L'auteur de cette fatwa est l'actuel Grand Sheikh de l'Azhar. Il y affirme qu'il n'est pas possible d'abandonner les enseignements de Mahomet en faveur de l'enseignement d'autrui, fût-il un médecin parce que la médecine évolue et n'est pas constante. La responsabilité de la circoncision des filles incombe aux parents et à ceux qui en ont la charge. Ceux qui ne l'accomplissent pas manquent à leur devoir"[70] .

4. Raison de la différence entre garçon et fille

Al-Sukkari essaie d'expliquer la différence entre garçon et fille devant la norme religieuse :

- Abraham s'était circoncis, et il ne l'aurait pas fait si ce n'était pas un devoir. Mais il n'est pas prouvé qu'Abraham ait commandé la circoncision féminine[71] . Celle-ci est plutôt un commandement de Mahomet selon le "récit de l'exciseuse" cité plus haut.

- La circoncision masculine est un signe qui distingue l'homme musulman du non-musulman. En ce qui concerne la femme, on adopte normalement une attitude de réserve à son égard et on ne va pas chercher (sous ses habits) si elle est circoncise ou pas.

- La circoncision masculine prévient de beaucoup de maladies, dont le cancer et réduit le recours à la masturbation. Cet argument est avancé aussi par l'Imam Mahmud Shaltut pour qui le prépuce du garçon cache des microbes nocifs pour la santé, ce qui n'est pas le cas de la fille[72] .

5. Conséquences de la qualification

Les légistes se sont posés la question de savoir si l'autorité publique peut obliger un musulman à se circoncire, surtout à un âge avancé. Les zaydites et les shafiites répondent par l'affirmative. Selon l'Ecole hanafite, si un groupe rejette la circoncision masculine, le chef de l'Etat doit leur déclarer la guerre. Certains disent cependant qu'on peut dispenser quelqu'un de la circoncision masculine si elle présente un danger pour sa santé. Al-Sukkari, auteur moderne, estime que la question de la santé ne se pose pas de nos jours. Le musulman qui craint pour sa santé, peut s'adresser à un médecin qui utilisera à cet effet l'anesthésie et les appareils modernes.

Les hanbalites disent que la circoncision masculine et féminine est un rituel de l'islam; l'homme peut obliger sa femme à s'exciser comme à prier. Les ibadites considèrent le mariage du musulman non-circoncis comme nul même s'il y a eu consommation. La femme peut demander au juge de la séparer de son mari. Si le mari se circoncit après la consommation, le mariage reste nul; il doit conclure un nouveau mariage pour reprendre sa femme. Pour les hanbalites, la non-circoncision du mari est un vice du contrat donnant le choix à la femme de demander le divorce ou de maintenir le mariage. Pour certains, le non-circoncis n'a pas de droit de tutelle sur un musulman et n'a pas le droit de donner son consentement au mariage d'un parenté musulman. Dans ce cas, le mariage est dissous sauf s'il a été consommé.

Al-Sukkari, auteur moderne, accorde à la femme le choix de dissoudre le mariage si le mari n'est pas circoncis parce que le prépuce peut être un vecteur de maladies. Il peut être aussi une cause de dégoût empêchant la réalisation des buts du mariage, à savoir l'amour et la bonne entente entre les conjoints. La femme a le droit d'être mariée à quelqu'un de beau et de propre, l'Islam étant la religion de la propreté, de la pureté[73] .

Ahmad Amin souligne l'importance qu'a la circoncision dans l'esprit de l'Egyptien par un fait anecdotique : une tribu soudanaise a voulu adhérer à l'islam. Son chef a écrit à un savant de l'Azhar pour lui demander ce qu'il fallait faire. Le savant lui a envoyé une liste d'exigences, en plaçant au premier point la circoncision. La tribu a alors refusé de devenir musulmane[74] .

Pour la masse des croyants, l'appartenance à l'islam implique nécessairement la circoncision des garçons. A Java, circoncire un garçon se dit : recevoir quelqu'un au sein de l'Islam; à Alger, pendant la colonisation, les cartes d'invitation à cette cérémonie la désignaient, en français, sous le nom de baptême. Elle constitue dans la vie musulmane une importante fête de famille, ce qui n'est pas le cas de la circoncision des filles, faite en cachette[75] . Selon les autorités religieuses séoudiennes, un homme qui se convertit à l'islam doit se circoncire, mais pour éviter qu'il refuse d'entrer dans l'islam par répugnance à cette opération, on peut retarder cette exigence jusqu'à ce que la foi soit affermie dans son coeur[76] .

Sur le plan social, la non-circoncision féminine a des conséquences graves. Dans certains pays, les filles non-circoncises ne se marient pas et les gens commencent à parler d'elles comme de personnes de mauvaise conduite, possédées par le diable. Dans la campagne égyptienne, la matrone qui pratique la circoncision féminine délivre un certificat qui sert pour le mariage[77] . Wedad Zenie-Ziegler écrit que les paysannes égyptiennes s'étonnent que leurs concitoyennes du Caire ne sont pas excisées. Elles partent "d'un grand éclat de rire, ponctué par des exclamations indignées" : "On ne le fait vraiment pas? Les filles restent comme cela, sans être coupées? Elles ne se déchaînent pas?"[78] . El-Masry rapporte les dires d'une sage-femme égyptienne qui avait circoncis plus de 1000 filles. Selon elle, "on devait lyncher les pères qui s'opposeraient à l'excision de leurs filles, parce que ces pères acceptaient en somme que leurs filles deviennent des prostituées"[79] . Au Soudan, où se pratique l'infibulation, des frères ont voulu éviter cette torture à leurs jeunes soeurs. La plupart d'entre eux ont été chassés de la maison paternelle après des disputes terribles, les parents les accusant d'être des dépravés et de chercher à dévergonder leurs soeurs. Très peu ont réussi; mais, pour pouvoir mettre fin aux qu'en dira-t-on des voisins, ils ont été obligés d'amener leurs soeurs vivre sous leur toit à Khartoum ou Atbara. "Car il est aussi anormal au Soudan de ne pas coudre le sexe des filles, qu'en Occident de ne pas donner de bain aux enfants. Les voisins jasent"[80] .

 

IV. Modalité de la circoncision selon le droit musulman

 1. Circoncision des garçons

La circoncision masculine consiste, selon les légistes classiques musulmans, à couper le prépuce, de préférence tout le prépuce. Si l'homme a deux pénis, certains disent qu'il faut circoncire les deux; d'autres disent qu'il faut circoncire seulement celui qui urine. Si l'enfant est né circoncis, certains disent qu'il faut le laisser tel quel; pour d'autres, il faut passer le couteau sur l'emplacement du prépuce pour l'accomplissement du commandement. Si la circoncision est incomplète, il faudrait la compléter[81] .

2. Circoncision des filles

Al-Sukkari, auteur moderne, décrit comme suit la circoncision féminine. "Il faut commencer par invoquer Dieu en récitant la formule : au nom de Dieu miséricordieux et compatissant, suivie de louange à Dieu et de prière sur le prophète, l'auteur de cette makrumah suprême". La circoncision féminine doit être faite par un ou une médecin chirurgien de religion musulmane et d'apparence pieuse, connaissant les enseignements de Mahomet. Il faut utiliser les meilleurs moyens médicaux pour réduire la souffrance. La circoncision féminine doit être faite le jour pour que le médecin puisse la faire à la lumière du jour, mais en toute discrétion, en présence seulement du tuteur de la fille ou de sa mère, ou de celui qui a le plus de pitié pour elle[82] . Il ne précise pas en quoi consiste la circoncision féminine. Pour Gad-al-Haq, la circoncision féminine consiste à "couper la peau qui se trouve au-dessus de la sortie de l'urine sans exagérer et sans l'extirper"[83] . Al-Sha‘rawi précise que si la fille n'a pas de partie excédante, il n'y a pas besoin de la circoncire[84] .

Ce qui est décrit plus haut comme conforme à la sunnah reste du domaine de la théorie. Dans les faits, on pratique plutôt la clitoridectomie (pratiquée en Egypte) ou l'infibulation (pratiquée au Soudan et en Somalie). Au Soudan, une étude a démontré que 64% des circoncisions féminines avaient été pratiquées par des accoucheuses traditionnelles, 35% par des sages-femmes et 0.7% par des médecins[85] .

3. Circoncision de l'hermaphrodite

Les auteurs classiques ont divergé au sujet des hermaphrodites, personnes ayant deux sexes. Certains disent qu'il faut circoncire les deux sexes; d'autres, par contre, disent qu'il faut circoncire l'organe qui urine par analogie à la succession[86] . Pour d'autres, enfin, il faut attendre jusqu'à ce qu'on sache lequel des deux organes prédomine pour le circoncire. Par précaution, Al-Sukkari, auteur moderne, choisit la première opinion, à savoir la circoncision des deux organes afin d'éviter l'erreur[87] .

4. L'âge pour la circoncision masculine et féminine

Les légistes ne sont pas unanimes quant à l'âge auquel la circoncision doit être faite. Différentes opinions sont avancées : en tout temps, à l'âge de la puberté, avant l'âge de 10 ans (l'âge auquel l'enfant est frappé pour le contraindre à faire sa prière), à environ sept ans pour le garçon, au septième jour (certains prenant en considération le jour de naissance, d'autre ne le prenant pas), surtout pas le septième jour ou moins (parce que c'est la coutume des juifs auxquels il faut éviter de s'assimiler). Al-Mawardi propose que la circoncision soit faite au plus tard à sept ans mais de préférence à sept jours, voire à quarante jours sauf inconvénient. C'est l'opinion à laquelle opte Al-Sukkari pour les garçons. Pour les filles, il propose l'âge de sept à dix ans pour qu'elles puissent supporter l'opération[88] .

Selon des témoignages recueillis par Wedad Zenie-Ziegler, la circoncision féminine en Egypte est faite en principe une semaine après la naissance, mais cela se fait parfois à deux mois, parfois à sept mois ou même à sept ans[89] . Nawal El-Saadawi dit qu'elle a lieu en Egypte à l'âge de 7 ou 8 ans, avant que la fille ait ses règles[90] .

Les légistes se sont posés la question s'il fallait circoncire les personnes mortes sans circoncision. La majorité des légistes rejettent une telle circoncision parce que cela porte atteinte à l'intégrité physique (hurmah) du défunt et expose sa partie honteuse ('‘awrah); de plus, elle est inutile puisque son but est d'accomplir un acte cultuel et d'être propre pour la prière, ce dont n'a pas besoin le mort. Pour d'autres, la circoncision du mort est nécessaire; son prépuce est déposé dans le linceul. Ils invoquent un récit de Mahomet selon lequel il faut faire aux morts ce qu'on fait aux personnes qui se marient. Al-Sukkari, auteur moderne, opte pour la première opinion[91] .

 

 

Chapitre III La raison au secours de la religion

Le Coran dit : "Nul ne L'interroge sur ce qu'Il fait, mais les hommes seront interrogés" (21 : 23). Dieu n'a donc pas à rendre compte de ses normes même si les légistes musulmans défendent l'idée que les normes divines visent à réaliser le bien de l'homme. Bien dont les critères échappent en général à l'homme.

Il est cependant une tendance actuelle aussi bien chez les musulmans que chez les juifs, à vouloir justifier a posteriori les normes religieuses, en leur attribuant des effets bénéfiques, réels ou fictifs. C'est un recours à la raison pour justifier la religion. Tel est le cas de la circoncision comme des interdits alimentaires. Cela prouve qu'on n'admet plus que Dieu puisse faire souffrir les êtres humains pour le simple but de les marquer comme du bétail.

Les défenseurs de la circoncision masculine et féminine, après avoir prouvé l'existence d'une norme religieuse y relative, vont s'atteler à démontrer ses bienfaits ainsi que les désavantages de la non-circoncision, ce qui est un moyen de réconforter le croyant et de répliquer aux opposants. Quant aux opposants (de la circoncision féminine), à moins d'être des mécréants rejetant toute légitimation religieuse, ils combattent aussi sur deux fronts : après avoir nié l'existence d'une norme religieuse prescrivant la circoncision féminine (la seule qui les intéresse), ils vont essayer de prouver son caractère nocif pour pouvoir l'interdire.

Et si la raison ne parvient pas à prouver la religion? Alors, on la récuse, comme on le verra plus loin.

I. La circoncision masculine

1. Bienfaits de la circoncision masculine

Les auteurs musulmans passent rapidement sur la circoncision masculine. Ils n'y voient que des bienfaits et, surtout, elle ne suscite pas de débat en Occident. La non-circoncision masculine, affirme le docteur Al-Hadidi (un opposant de la circoncision féminine), peut avoir comme conséquences des infections du pénis en raison des gouttes d'urine. Cela peut aller jusqu'au cancer menant à amputer le pénis entièrement[92] . La circoncision préviendrait même du cancer chez la partenaire du circoncis, avantage signalé par Docteur Al-Fangari qui ajoute qu'elle aide à prolonger l'accouplement en raison du dégagement de la glande du pénis[93] . Des arguments similaires se retrouvent chez leurs collègues juifs. De quoi faire pâlir les chrétiens auxquels Saint Paul propose la circoncision dans le coeur au lieu de la circoncision dans la chair[94] ! Si seulement Saint Paul pouvait entendre nos experts médicaux musulmans et juifs avant d'abroger l'obligation de se faire circoncire!

L'Imam Shaltut ne voit pas de base pour la circoncision masculine ou féminine, ni dans le Coran ni dans la Sunnah de Mahomet. Elle doit donc être jugée d'après le principe islamique général, qui interdit de faire souffrir quelqu'un, à moins que cela ne s'avère bénéfique pour lui et que l'avantage soit supérieur au désavantage. Pour les garçons, affirme-t-il, la circoncision est bénéfique parce qu'elle supprime le prépuce qui retient la saleté et favorise le cancer et autres maladies. C'est donc une mesure préventive et protectrice. D'où son caractère obligatoire en droit musulman[95] .

Logiquement, si la circoncision masculine est si bénéfique, il faudrait la généraliser. On ne peut cependant faire l'apologie de la circoncision masculine en raison de son utilité dans des cas pathologiques. Un pied peut être amputé sur prescription médicale s'il est gangrené, et l'amputation sera certainement bénéfique. Personne n'irait plaider la généralisation de l'amputation des pieds aux adeptes de religions déterminées[96] . A moins que, logique oblige, ces adeptes aient des pénis différents de ceux de leurs co-humains.

Signalons ici que la circoncision a fait des adeptes parmi les chrétiens qui prennent la Bible pour un livre scientifique. C'est notamment le cas aux Etats-Unis où des accoucheurs "sectionnent dès la naissance le prépuce de futurs méthodistes, adventistes, catholiques, sectateurs de Love, si ce n'est braves athées". Pour eux, les mâles incirconcis "ne peuvent être que des citoyens ruraux et quelque peu demeurés"[97] . On estime le nombre des circoncis dans ce pays à 50% des nouveaux-nés. Mais en 1975, la commission américaine pour la santé a décrété que la circoncision n'était pas une bonne mesure d'hygiène. Depuis lors, les circoncisions ont été considérablement réduites[98] . Les adeptes de la circoncision ont alors entrepris une campagne pour faire revenir cette commission sur sa décision en avançant que la circoncision préviendrait les infections urinaires infantiles, voire même la transmission du Sida, ce que les experts suédois démentent[99] .

2. Méfaits de la circoncision masculine

Nous l'avons dit plus haut, la circoncision masculine n'intéresse presque personne. Le Docteur Gérard Zwang, cité plus haut, figure parmi les rares adversaires de la circoncision masculine. Non seulement il n'y voit pas de bienfaits, mais relève aussi ses méfaits. Il écrit :

La plus grande suspicion est de rigueur quand griots et féticheurs essaient de légitimer irréfutablement les mutilations sexuelles rituelles (à moins qu'on ne fasse partie de ces ethnographes incurablement naïfs). Seuls héritiers d'une culture extra-européenne touchés par la pensée scientifique, et contribuant souvent à l'élaborer, c'est du côté des judaïsants que viennent habituellement les arguments prétendus "logiques" en faveur de la circoncision[100] .

Il nomme les cinq sortes de raisons "raisonnables" avancées par les adeptes de la circoncision en Occident, raisons qui se recoupent avec celles avancées par les musulmans, à savoir :

1. La circoncision témoignerait du souci légitime de parfaire la sexualité individuelle
2. La circoncision serait une bonne mesure d'hygiène
3. La circoncision préviendrait la masturbation
4. La circoncision préviendait le cancer
5. La circoncision prodiguerait une meilleure maîtrise du stade en plateau.

Après avoir démonté ces raisons l'une après l'autre[101] , il montre que le prépuce sert pour l'enfant de préservatif empêchant le gland de baigner en permanence dans le pipi et le protégeant des irritations et des inflammations aux contacts avec des vêtements, langes, couches imprégnés d'urine. Il affirme que la circoncision à la naissance est "presque toujours responsable du rétrécissement inflammatoire du méat urétral". Cette protection du gland et de la verge se prolonge dans les actes érotiques, d'où l'intérêt du prépuce dans la vie affective pendant l'enfance, l'adolescence et à l'âge adulte sur ce plan[102] .

Il conclut qu'"il n'y aucune raison [médicale] de priver systématiquement les nouveaux-nés, les petits garçons ou les adultes d'une partie intégrante de l'anatomie humaine normale". Même pour les prépuces malades, il déconseille la circoncision et lui préfère des interventions chirurgicales simples sauvegardant le prépuce. Il préconise que les chirurgiens plasticiens étudient la possibilité technique d'une reconstitution préputiale pour des circoncis atteints de "peeling balanique", un désavantage de la circoncision[103] .

Quant aux chirurgiens sollicité pour pratiquer la circoncision, il leur indique de la refuser. Si c'est un adulte qui la demande, le chirurgien a le droit de faire valoir cet argument de conscience dont certains usent, en tout libéralisme, pour ne pas pratiquer les interruptions de grossesse. Si ce sont des parents qui amènent un enfant normal, "le chirurgien peut faire valoir l'impossibilité de commettre le délit de coups et blessures sur un mineur, et conseiller d'attendre la majorité du rejeton"[104] .

Mr. Valla, président de l'Association contre la mutilation des enfants, n'hésite pas à qualifier la circoncision masculine, de véritable excision. Selon lui, la circoncision masculine provoque aujourd'hui la mort d'au moins plusieurs dizaines de bébés par an Outre-Atlantique. De plus, elle provoque de nombreuses complications, comme des saignements, des infections, une réduction de la sensibilité du gland de la verge, ainsi que dans certains cas, un appauvrissement de la vie amoureuse[105] .

Il faudrait peut-être compléter ces avis de médecins par les avis de psychologues pour répondre à la question de savoir si on peut exclure tout effet nocif d'une opération mutilante souvent pratiquée sans anesthésie? Il nous manque des statistiques pour déterminer, par exemple, le pourcentage des personnes circoncises par rapport au pourcentage des personnes non circoncises atteintes de paranoïa? Ceci nous semble important pour déterminer les bienfaits et les méfaits de la circoncision[106] .

 

II. La circoncision féminine  

1. Bienfaits de la circoncision féminine conforme à la sunnah

La circoncision non-conforme à la sunnah est condamnée par tous les milieux religieux musulmans. Pour certains, "la pratique de la circoncision féminine, comme la font des femmes dans des contrées retardées à l'égard de leurs filles, relève du délit légalement punissable"[107] . On ne trouve personne à la défendre même si c'est la forme la plus pratiquée dans les pays musulmans. Cette condamnation se base principalement sur le récit de l'exciseuse cité plus haut. Le plus étrange en l'espèce est, que ces milieux religieux n'essaient pas de tirer profit de ce récit pour combattre cette pratique. A titre d'exemple, on estime le nombre des femmes circoncises dans la région du nord du Soudan à 89.2% : 82.3% sous forme d'infibulation; seulement 19.2% des chrétiennes sont circoncises sous cette forme. Davantage de chrétiens (57.7%) que de musulmans (20.8%) seraient en faveur de l'abandon de cette pratique pour leurs filles[108] .

Si ces savants religieux, tous des machos, s'opposent à la circoncision féminine non-conforme à la sunnah, ils n'en approuvent pas moins la circoncision sunnah. Ce genre de circoncision féminine n'est d'ailleurs pas très précis : pour certains, il s'agit de l'ablation légère de la peau du clitoris en application du "récit de l'exciseuse"; pour d'autres, il s'agit de couper le clitoris et les petites lèvres.

Le but de la défense de la circoncision féminine conforme à la sunnah est exprimé sans ombrage par Al-I‘tissam, revue islamiste du Caire. Cette revue s'élève contre l'OMS qui "déforme les vérités de l'islam"; elle demande à l'Azhar et aux savants religieux d'"ouvrir les yeux et être attentifs à toutes les idées qui nous viennent de l'extérieur afin de les combattre en prouvant leur non-sens et sauver les moeurs islamiques"[109] . Voilà les bienfaits de la circoncision féminine selon ses défenseurs masculins :

A) Elle maintiendrait la propreté

Le docteur Hamid Al-Ghawabi affirme que les mauvaises odeurs chez la femme ne peuvent être supprimées quelle que soit la propreté qu'en coupant le clitoris et les petites lèvres[110] .

B) Elle préviendrait des maladies

Le nombre des femmes atteintes de la nymphomanie est moindre chez les femmes circoncises. Cette maladie peut infecter le mari et même lui donner la mort[111] . La circoncision féminine prévient du cancer du vagin[112] et du gonflement du clitoris qui pousse à la masturbation ou aux rapports homosexuels[113] .

C) Elle procurerait le calme et rendrait le visage rayonnant

La circoncision féminine empêche la fille de devenir nerveuse dès son jeune âge et lui évite d'avoir un visage jaune. Cette affirmation est basé en fait sur les récit de Mahomet : "La circoncision est makrumah pour les femmes" et "rend plus rayonnant le visage"[114] . On invoque aussi le "récit de l'exciseuse" pour dire que la circoncision embellit le visage de la femme et la rend plus attirante pour son mari[115] . Selon un défenseur de la circoncision féminine, celle-ci donne à la fille une bonne santé, une beauté féminine et une protection de sa morale, de sa chasteté et de son honneur tout en maintenant la sensibilité sexuelle nécessaire sans exagération[116] .

D) Elle maintiendrait le couple soudé et empêcherit la drogue

Le Docteur Hamid Al-Ghawabi reconnaît que la circoncision féminine réduit l'instinct sexuel chez la femme, mais il n'y voit qu'un bienfait. Avec l'âge, l'instinct sexuel de l'homme baisse. Sa femme circoncise sera à ce moment-là au même degré dans l'instinct sexuel. Si elle ne l'était pas, le mari ne pourrait pas la satisfaire, ce qui le pousse à recourir à la drogue pour y parvenir[117] .

E) Elle empêcherait de tomber dans l'interdit

C'est l'argument le plus évoqué. Le Professeur Al-‘Adawi de l'Azhar dit que la circoncision de la fille est makrumah, ce qui signifie "qu'elle l'aide à garder sa gêne et la garde des penchants qui excitent son instinct sexuel. La fille en Orient, région souvent très chaude, si elle n'est pas circoncise, a un instinct sexuel très poussé qui réduit sa gêne et la rend plus disposée à répondre à cet instinct sexuel "sauf celle dont Dieu a pitié"[118] . Le juge ‘Arnus dit que la circoncision féminine réduit l'instinct sexuel qui, s'il est exagéré, mène la personne à l'état de l'animal, et s'il n'existe pas il la réduit à l'état d'une chose morte. C'est un modérateur. De ce fait, les femmes et les hommes non-circoncis sont plus penchés vers le sexe[119] . Salim, président du tribunal suprême musulman (supprimé en 1955), répète que la circoncision féminine est une makrumah, un acte méritoire qu'elle n'est pas obligée de pratiquer, mais qu'il est préférable de faire. Car, ajoute-t-il, elle protège la fille des infections, de l'enflure des organes sexuels externes, des réactions psychiques fortes et des excitations sexuelles qui, domptées, mènent à des troubles nerveux et non domptées, aux voies des vices si elles sont suivies, notamment dans la jeunesse et durant l'activité de la glande génétique. Il explique en quoi consiste cette circoncision : il s'agit de couper la partie saillante du clitoris qui dépasse la peau "afin qu'il ne soit pas objet d'excitation par le mouvement, les habits, la montée des animaux etc. D'où son nom khafd : abaisser le niveau"[120] . Gad-al-Haq, le Grand-Sheikh de l'Azhar, ajoute que notre époque nécessite la circoncision féminine "en raison de la mixité entre les hommes et les femmes dans les rassemblements. Si la fille n'est pas circoncise, elle s'expose aux nombreuses excitations qui la poussent au vice et à la perdition dans une société sans freins"[121] .

 

2. Méfaits de toute forme de circoncision féminine

Les opposants de la circoncision féminine la rejettent en raison de ses méfaits qui varient en gravité selon la forme pratiquée.

A) Elle nuit à la santé physique et psychique

De nombreuses complications se produisent après une circoncision féminine Ces complications qui peuvent varier sont reparties par le docteur Mahran comme suit :

- des complications immédiates : choc, douleur, saignements, infections, complications urinaires et lésions accidentelles des organes environnants.

- des complications ultérieures : cicatrices douloureuses, formation de chéloïdes, adhérences labiales, kystes du clitoris, mutilation de la vulve, calculs vaginaux, stérilité.

- des complications psychosexuelles : chez la femme : sentiment d'une diminution de la féminité, affaiblissement du désir sexuel, diminution de la fréquence du coït, absence d'orgasme, dépression et psychose, taux de divorce élevé; chez l'homme : impotence et éjaculation précoce, polygamie.

- des complications obstétriques[122] .

Il n'y a aucune technique chirurgicale capable de remédier à cette mutilation, capable de restaurer la sensibilité érogène des récepteurs amputés. La fonction érotique d'une femme excisée est définitivement supprimée. Le chirurgien ne peut agir que sur les complications pour qu'à défaut de procurer du plaisir le sexe d'une femme mutilée ne cause plus de souffrance[123] .

Les défenseurs musulmans de la circoncision féminine ne nient pas ces complications, mais les attribuent à la manière de pratiquer la circoncision féminine, et notamment au fait qu'on ne respecte pas les modalités prévues par le droit musulman. Al-Sukkari écrit : Si quelqu'un s'adresse à un barbier pour lui faire l'opération de l'appendicite, peut-on en conclure que cette opération en soi n'a pas été prévue par un texte dans l'islam et de ce fait elle devrait être interdite parce que la manière de la faire est mauvaise? Il ajoute que la circoncision féminine a été pratiquée pendant des siècles et constitue une coutume admise par le droit musulman. Les prétendues conséquences n'ont jamais eu lieu. Et si aujourd'hui on en parle, c'est peut-être en raison de ceux qui la font[124] .

B) Elle pousse à la drogue

Nous avons vu plus haut que les défenseurs de la circoncision féminine dite sunnah invoquent en faveur de celle-ci la prévention du recours à la drogue. Cet argument est renversé par les adversaires de la circoncision féminine[125] . Le lien entre la circoncision féminine et le fléau du hachisch en Egypte est largement exposé par El-Masry. La circoncision féminine fausse les rapports sexuels : "Très peu de mâles normalement constitués peuvent réussir à satisfaire pleinement, à amener régulièrement au stade de l'orgasme une femme ayant perdu, par mutilation, une partie de sa capacité voluptueuse... L'homme sera très bientôt obligé de reconnaître qu'il n'y arrivera pas par ses propres forces... Pour atteindre ce but, un seul remède : le hachisch". Il cite plusieurs sources. Le général de police Safwat pour qui : "les narcotiques sont plus répandus en Egypte car ils sont liés, dans l'esprit des gens, à l'activité sexuelle, elle-même liée à l'excision, inconnue en Europe". Le docteur Hanna ajoute : "L'homme a surtout recours aux narcotiques afin de satisfaire sa femme sur le plan sexuel. L'excision faisant perdre à la femme sa sensibilité, l'homme est obligé de s'adonner aux stupéfiants pour pouvoir résister le temps nécessaire". Il affirme que ce sont les femmes qui demandent à leurs compagnons de se doper avant de faire l'amour : "Elles savent en effet, par expérience, que c'est là leur seule chance d'atteindre à l'orgasme, car le hachisch est la seule parade contre la mutilation du clitoris"[126] . La revue Al-Tahrir du Caire, dans son numéro du 20 août 1957 tire la conclusion suivante : "Si vous voulez lutter contre les narcotiques, interdisez l'excision"[127] .

On observe le même lien entre la circoncision féminine et les narcotiques au Yémen où le fléau du qat frappe durement. Une tentative d'interdiction en avril 1957 dans la colonie britannique d'Aden a failli provoquer un soulèvement populaire. Les Yéménites virent dans cette mesure "une enfreinte à leurs droits fondamentaux". Les femmes elles-mêmes manifestèrent leur réprobation faisant valoir qu'elle portait atteinte à leur vie conjugale. Depuis le 24 juin 1958, l'usage du qat est redevenu légal à Aden[128] .

C) Elle cause des troubles dans les familles

La femme, ne pouvant satisfaire son instinct sexuel, devient révoltée et névrosée, et au lieu de sauvegarder sa morale, la circoncision féminine la pousse à chercher la satisfaction sexuelle à tout prix et en dehors du cadre conjugal. Cela a pour conséquence aussi la croyance dans l'obsession diabolique (zar) qui n'existe nulle part qu'en Egypte "comme si les diables ne trouvent d'autres pays à habiter que l'Egypte"[129] .

D) Elle ne prévient pas des maladies

Pour le docteur Al-Hadidi, il n'existe pas d'intérêt médical pour la circoncision féminine, contrairement à la circoncision masculine puisque la femme n'a pas de prépuce qui maintient les microbes[130] . Le docteur Nawal El-Saadawi nie aussi que la circoncision féminine réduit les cas du cancer des organes génitaux[131] .

 

III. Position mitigée des milieux religieux face à la raison

La querelle rationnelle sur les méfaits et les bienfaits de la circoncision masculine et féminine n'a d'intérêt que si l'on admet au préalable le principe du respect de l'intégrité physique et que toute atteinte à cette intégrité doit être permise ou interdite en fonction des méfaits et des bienfaits de la circoncision. Or, ceci ne semble pas être admis, ni chez les musulmans ni chez d'autres, notamment en ce qui concerne la circoncision masculine.

En ce qui concerne la circoncision féminine, nous l'avons dit plus, les milieux religieux musulmans y sont opposée si elle prend une autre forme dite sunnah, principalement en raison du récit de l'exciseuse. Pour la circoncision féminine dite sunnah, en revanche, ces milieux refusent de la condamner sur la base du principe et des critères susmentionnés même si on distingue quelques nuances dans leurs positions respectives.

1. Appliquer la norme pour la norme

Hamrush, président de la commission de fatwa de l'Azhar, rejette l'idée selon laquelle la circoncision féminine prévient des maladies ou maintient la santé puisque, contrairement aux garçons, elle n'a pas de prépuce qui retient la saleté. Il rejette aussi l'idée qu'elle sauvegarde la morale et l'honneur de la femme et l'empêche de se lancer derrière son instinct sexuel. Si c'était le cas, alors il faudrait conclure qu'elle est une obligation et non pas une makrumah. Néanmoins, ce sheikh soutient qu'il serait souhaitable de pratiquer la circoncision féminine en application des récits de Mahomet[132] .

2. La norme a des bienfaits inconnus par la raison

Le Professeur Al-Labban dit que l'observation scientifique externe ne doit pas servir à détruire les normes instituées par Dieu (dont la circoncision masculine et féminine) et annoncées par Mahomet, mais à les confirmer[133] . Et si nous ne comprenons pas la sagesse derrière ses normes, la faute incombe à notre raison et non à Dieu. La législation islamique est la dernière des législations et elle est apte à régir tout temps; notre cerveau humain ne peut pas atteindre un niveau lui permettant de la prendre en défaut. En fait, Mahomet ne parle pas par passion[134] .. Il explique comment la science confirme la norme religieuse. La circoncision féminine dite sunnah permet aux petites veines de se souder (contrairement aux autres formes de circoncisions féminines) et facilite la purification après l'ablation de la partie saillante qui retient le flux menstruel et l'urine. Cette sagesse derrière la norme islamique n'a été découverte par la science qu'ultérieurement[135] .

Dans une fatwa égyptienne du 23 juin 1951, il est dit :

Les théories médicales relatives aux maladies et aux moyens de les soigner ne sont pas constantes; elles sont sujettes à changement avec le temps et les recherches. De ce fait, il n'est pas possible de s'y fier pour dénigrer la circoncision féminine. Le Législateur sage, expert et savant y a une sagesse et s'en sert pour redresser la création humaine. Les expériences nous ont appris qu'avec le temps les faits nous dévoilent ce qui nous a été caché concernant la sagesse du Législateur en ce qu'il nous a légiféré[136] .

3. Ni méfaits, ni interdiction

Al-Sukkari affirme que Mahomet n'a jamais émis de réserve à l'égard de la circoncision féminine signifiant qu'elle serait nocive. Comment dans ce cas un être humain ordinaire peut-il l'interdire sous prétexte qu'elle est nocive pour la fille? Peut-on imaginer le Prophète garder le silence devant un acte qui serait nocif pour la fille[137] ? L'homme n'a pas le pouvoir de permettre ou d'interdire, ceci étant un attribut de Dieu, exprimé dans le Coran ou par son prophète[138] . Si malgré cela certains pays interdisent la circoncision féminine, cette interdiction étatique ne change rien au fait qu'elle reste autorisée par la loi religieuse[139] .

4. Maintenir la coutume à défaut de méfaits

L'Imam Shaltut, comme nous l'avons vu plus haut, ne voit pas de base pour la circoncision masculine ou féminine, ni dans le Coran ni dans la Sunnah de Mahomet. Pour lui, la circoncision féminine ne présente pas d'intérêt médical parce que la fille n'a pas de prépuce qui retient la saleté. Il renvoie ensuite dos à dos les défenseurs et les adversaires qui invoquent des raisons rationnelles pour ou contre la circoncision féminine; tous deux exagèrent. Il conclut que la circoncision féminine pourrait être une makrumah pour les hommes qui ne sont pas accoutumés à sentir la partie excédante; et en cela elle ressemble au fait de soigner sa beauté, de se parfumer ou d'épiler les poils des aisselles[140] . Dans un autre avis, l'Imam Shaltut se prononce pour le maintien de la coutume de la circoncision féminine tant que son caractère nocif n'est pas prouvé[141] .

Le Sheikh Al-Nawawi parvient avec le même raisonnement à un autre résultat. Pour lui, les récits de Mahomet relatifs à la circoncision féminine sont faibles et celle-ci n'a pas de raison. L'Islam est venu modérer sa pratique parmi les arabes et elle continue à être pratiquée sous cette forme modérée sans acquérir la qualité d'obligation en dehors de quelques cas exceptionnels. On ne peut établir une norme sur la base d'une exception[142] .

Une opinion moins précise est donnée par Al-Banna, vice-ministre égyptien pour les affaires religieuses. Pour lui, la circoncision féminine ne peut être détachée du critère de l'intérêt : Dieu ne nous en charge pas s'il n'y a pas d'intérêt. De ce fait, si elle présente un intérêt, il faut la suivre; si non, il faut l'abandonner. Les médecins compétents doivent s'y prononcer en prenant en considération toutes les filles de régions de températures différentes, parce que le problème peut se poser autrement d'un pays à l'autre, ou même d'une fille à l'autre. Si une fille présente une situation particulière, alors il faut la circoncire; sinon, il faut laisser la nature humaine telle que Dieu l'a créé. Tant qu'une telle étude n'a pas été faite, les musulmans restent libres de l'appliquer ou de ne pas l'appliquer[143] .

Selon le Professeur Khallaf, les médecins ne doivent pas condamner la circoncision féminine à partir de cas isolés, mais comparer les excisées aux non-excisées et ensuite rendre leur jugement. S'ils concluent que la circoncision féminine est nocive et donc à interdire, l'interdiction ne sera pas contraire à un texte de la religion, ni à une position unanime des savants religieux[144] .

5. Permise mais à interdire à cause des méfaits

Le docteur ‘Abd-al-Wahid nous offre un raisonnement pour le moins étrange. Après avoir affirmé qu'en principe la circoncision féminine est interdite au même titre qu'il est interdit de se couper un doigt, il reconnaît que le Législateur (Dieu) a autorisé la circoncision féminine dite sunna, tout dépassement étant interdit. Il ajoute cependant que cette forme de circoncision est autorisée mais non obligatoire, et propose de l'interdire en raison de ses méfaits médicaux psychologiques qu'il expose largement[145] .

6. Elle doit être interdite

L'opinion la plus osée et la plus cohérente d'un responsable religieux contre la circoncision féminine est donnée par le Sheikh Abo Sabib, un soudanais dont nous avons parlé plus haut. Il s'était exprimé devant le séminaire sur les pratiques traditionnelles (Dakar, 1984). Les récits de Mahomet relatifs à la circoncision féminine ne sont pas fiables. Le Coran et les récits de Mahomet ne permettent pas de faire souffrir quelqu'un alors que la science prouve la nocivité de cette mutilation[146] .

Seules les deux dernières opinions prônent l'interdiction de la circoncision féminine et optent pour le principe de l'intégrité physique. Les autres se gardent bien de l'interdire même si certains laissent le choix au croyant. Passons maintenant à cette interdiction sur le plan étatique.

 

 

Chapitre IV Interdiction légale de la circoncision féminine

La circoncision féminine pose plusieurs questions :

  • A-t-on le droit de juger les pratiques des autres sociétés et dans ce cas, avec quels critères?
  • Peut-on au nom de la différence rester indifférent face aux mutilations dont sont victimes les enfants?
  • Faut-il distinguer entre les différentes formes de circoncision?
  • Faut-il interdire la circoncision d'une manière radicale ou progressive?
  • Peut-on provisoirement la permettre en milieux hospitaliers?

 

I. Juger les pratiques des autres

Les milieux musulmans favorables à la circoncision féminine voient dans la campagne occidentale contre la circoncision féminine un acte impérialiste. Al-Sukkari écrit que si on cherche aujourd'hui à la supprimer "c'est parce que l'Occident a réussi à imposer largement ses vues laïques matérialistes à nos sciences, nos moeurs et nos arts"[147] . L'Imam Shaltut qui accepte la possibilité d'interdire la circoncision féminine si elle s'avère nocive précise que cette interdiction ne doit pas être stipulée pour imiter d'autres peuples -allusion polie à l'Occident, mais seulement s'il est prouvé qu'elle est nocive[148] .

Jomo Kenyatta, feu président du Kenya, disait : "L'excision et l'infibulation soudent nos rangs; elles sont des marques de notre fécondité"[149]   Ce à quoi répond Pierre Leulliette :

Des millions d'enfants de deux à quatorze ans sont affreusement torturés dans une atmosphère d'hystérie collective, au mépris de leur sexe, au mépris de leur corps, au mépris de leur vie.... La culture sauvage n'est-elle pas dans ce cas, la manifestation la plus basse de la phallocratie omniprésente, illimitée? Ces mutilations ne sont-elles pas simplement d'abord un acte de haine et de peur secrètes de l'homme envers la femme?[150] .

Ce problème se retrouve posé au sein des organisations internationales. Le 10 juillet 1958, le Conseil économique et social de l'ONU a invité l'OMS à "entreprendre une étude sur la persistance des coutumes qui consistent à soumettre les filles à des opérations rituelles, et sur les mesures prises ou projetées pour mettre fin à ces pratiques"[151] . La réponse était nette : "[L'Assemblée mondiale de la santé] estime que les opérations rituelles en question résultent de conceptions sociales et culturelles dont l'étude n'est pas de la compétence de l'OMS"[152] . Et ceci malgré un rapport accablant établi par le bureau régionale pour la Méditerranée orientale de l'OMS[153]

Dans un communiqué sur l'excision féminine du 23 septembre 1980, l'Unicef explique que son approche pour l'éradication d'une pratique fondée sur des modèles culturels et traditionnels remontant à plus de 2000 ans "est basée sur la conviction que la meilleure manière d'aborder ce problème est de déclencher une prise de conscience au travers d'une éducation du public, de membres de la profession médicale et des agents de santé traditionnels, et grâce à la participation des collectivités locales et de leurs animateurs"[154] .

En 1984, le Comité inter-africain a préconisé que "pour des raisons psychologiques compréhensibles, la parole dans ce domaine devrait être laissée aux Négresses". Il a demandé de freiner, pour des raisons d'efficacité, la fougue de "cette vague des réactions violentes et incontrôlables partie des pays occidentaux pour dénoncer ces mutilations"[155] . En matière d'interdiction légale, il avait, en 1984, mis en garde contre "une précipitation intempestive qui aboutirait à des mesures législatives hâtives qui ne seraient jamais appliquées"[156] . En ce qui concerne les professionnels de la santé, il se satisfaisait de condamner "la médicalisation et la modernisation de la pratique de l'excision féminine, celle-ci étant non conforme à l'éthique médicale" et de recommander d'interdire "à tout le personnel médical et paramédical de la pratiquer" pour la même raison[157] .

Ce problème embarrasse les pays d'accueil occidentaux. Dominique Vernier écrit :

Dès les premières instructions [en France] portant sur des affaires d'excision (on commence à en parler dans la presse en 1982-83), la justice est dans l'embarras et elle ne cesse de l'être jusqu'à ce jour[158] .

Cet embarras est fondé en raison des principes mêmes du droit pénal. En effet, les parents n'ont pas l'intention de porter des coups et violences à leurs enfants mais simplement de respecter une coutume, faute de laquelle leurs filles devenues femmes ne pourraient pas s'intégrer dans leur pays d'origine[159] . D'autre part, sur le plan pratique, il n'est pas difficile pour un couple qui veut faire exciser son enfant de partir le faire dans son pays d'origine rendant ainsi inefficace la loi du pays d'accueil. Enfin, même si les pays d'origine adoptent des lois contre de telles pratiques, ces lois ne peuvent aller à l'encontre d'une pratique massive intégrée au coeur même de ce qui fait cette société[160] .

 

II. Droit à la différence ou indifférence

Ce débat autour du droit à la différence fut tranché en faveur du droit à l'intégrité de la fille (et non du garçon).

L'OMS a abandonné les réserves susmentionnées émises en 1959. Elle a appuyé en 1977 la création du premier Groupe de travail sur l'excision féminine. En février 1979, son bureau régional de la Méditerranée orientale a organisé à Khartoum le premier Séminaire international sur les pratiques traditionnelles ayant effet sur la santé des femmes et des enfants. Ce Séminaire recommanda l'adoption de politiques nationales précises en vue de l'abolition de la circoncision féminine[161] . En juin 1982, l'OMS a fait une déclaration formelle sur sa position vis-à-vis de l'excision féminine à la Commission des Droits de l'homme des Nations Unies. Elle y approuva les recommandations formulées à l'issue du Séminaire tenu à Khartoum et ajouta : "L'opinion de l'OMS a toujours été que la circoncision féminine ne devrait jamais être pratiquée par des professionnels de la santé dans quelque contexte que ce soit, y compris dans des hôpitaux ou autres établissements spécialisés"[162] . La dernière prise de position date de 1989 : le Comité régional de l'OMS pour l'Afrique a passé une résolution recommandant aux Etats membres :

  • d'adopter des politiques et des stratégies appropriées en vue d'éliminer la circoncision féminine
  • d'interdire la médicalisation de la circoncision féminine et de décourager le personnel de la santé d'effectuer une telle opération[163] .

Un revirement est aussi constaté dans la position du Comité inter-africain. Alors qu'en 1984 il mettait en garde contre la promulgation de lois contre la circoncision féminine, il a réclamé en 1987 de telles lois parce que "ni les efforts, ni les recherches, ni les campagnes, n'ont eu un vrai impact"[164] . Trois ans plus tard, il a renforcé sa position en demandant la promulgation de lois spécifiques "interdisant la pratique des mutilations génitales féminines et des abus sexuels et prévoyant des peines pour toute personne coupable de telles pratiques". Cette loi devrait réserver "une peine particulièrement sévère pour les professionnels de la santé"[165] .

Certains pays occidentaux ont emboîté timidement le pas aux deux organisations susmentionnés.

Ainsi la France a adopté en en 1981 l'article 312 al. 3 du code pénal qui dit :

Lorsque les violences ou privations ont été habituellement pratiquées, les peines encourues seront les suivantes : la réclusion criminelle à perpétuité s'il en résulte une mutilation, une amputation ou la privation de l'usage d'un membre, la cécité, la perte d'un oeil ou d'autres infirmités permanentes ou la mort, sans que l'auteur ait eu l'intention de la donner.

Cet article est invoqué contre la circoncision féminine même s'il n'utilise pas le mot. En Suède, une loi de 1982 interdit les interventions sur les organes externes, destinées à mutiler ceux-ci ou à y provoquer des altérations définitives, que le consentement à l'intervention ait été donné ou non[166] . La Grande-Bretagne a fait de même en 1985[167] .

En Suisse, l'article 122 du CPS stipule :

Celui qui aura mutilé le corps d'une personne, un de ses membres ou un de ses organes importants ou rendu ce membre ou cet organe impropre à sa fonction, sera puni, de dix ans de réclusion au plus ou d'une peine de 6 mois à 5 ans d'emprisonnement.

En outre, la Commission centrale d'éthique médicale de l'académie suisse des sciences médicales a pris en 1983 une position nette contre la circoncision féminine et sa pratique par le personnel médical[168] .

La Convention relative aux droits de l'enfant n'est pas claire à ce sujet. L'article 24 chiffre 3 affirme :

Les Etats parties prennent toutes les mesures efficaces appropriées en vue d'abolir les pratiques traditionnelles préjudiciables à la santé des enfants.

Aucune définition n'est donnée à la notion de "pratiques traditionnelles préjudiciables à la santé des enfants". Les Travaux préparatoires ne nous sont d'aucune aide dans ce domaine. La définition est donc laissée au bon plaisir des Etats. Ces Etats d'ailleurs n'hésiteront pas à invoquer l'article 29, chiffre 1, lettre c) de cette Convention :

Les Etats parties conviennent que l'éducation de l'enfant doit viser à [...] inculquer à l'enfant le respect de ses parents, de son identité, de sa langue et de ses valeurs culturelles, ainsi que le respect des valeurs nationales du pays dans lequel il vit, du pays duquel il peut être originaire et des civilisations différentes des siennes.

Signalons enfin la Déclaration de Londres issue de la 1ère Conférence d'étude européenne sur les mutilations génitales des filles (Londres, 6-8 juillet 1992). Cette Déclaration dit : "toute forme de mutilation et de lésion génitale de filles est une violation de son droit humain fondamental, et doit être abolie". Elle demande aux groupes nationaux et aux individus de "promouvoir un cadre légal d'action basé sur des lois spécifiques contre les mutilations génitales féminines ou sur des lois générales contre les lésions corporelles de l'enfant". Elle demande aux gouvernements et à toutes les organisations sanitaires de "résister à toute tentative de médicalisation de la mutilation ou de la lésion génitale de la fille"[169] .

 

III. Distinction entre les différentes formes de circoncisions

Il faut rappeler ici qu'une première distinction sur le plan de la loi et des mentalités est faite, à tort, entre la circoncision masculine, généralement admise, et la circoncision féminine. Ni l'OMS, ni le Comité inter-africain, ni l'Unicef, ni la Déclaration de Londres, ni les lois occidentales interdisant la circoncision féminine n'abordent la question de la circoncision masculine. Elle n'est pas non plus envisagée dans les Travaux préparatoires de l'article 24 chiffre 3 de la Convention relative aux droits de l'enfant. On y évoque la circoncision des filles, mais jamais la circoncision des garçons[170] .

On aurait pu attendre, logiquement, de ces organisations et de ces lois occidentales qu'elles établissent aussi une distinction entre les différentes formes de circoncisions féminines dans la mesure où la circoncision féminine bénigne est assimilable à la circoncision masculine. Or, ceci n'est nullement le cas, comme nous l'avons vu plus haut. Lors de la Conférence susmentionnée d'étude européenne sur les mutilations génitales des filles, la Hollande tentait d'admettre une telle distinction, mais l'OMS s'y est opposée. Docteur Mehra qui représentait l'OMS m'a expliqué qu'elle craint l'impossibilité de contrôler la pratique si l'on admet une forme donnée[171] .

Cette attitude ferme contre toute forme de circoncision féminine n'est pas partagée par le droit musulman. Ce dernier distingue entre la circoncision féminine dite sunnah, permise, et les autres formes qui, tout en étant largement pratiquée, sont condamnées par les milieux religieux. Cette distinction semble être admise aussi dans les pays musulmans.

Au Soudan, une loi datant de 1946 considère l'infibulation comme une infraction passible d'amende et d'emprisonnement. Elle fut abrogée sous la pression du public et remplacée par l'autorisation, pour les sages-femmes de formation, de pratiquer la circoncision sunnah[172] .

Dans une feuille volante non datée en langue arabe, l'Association soudanaise pour la lutte contre les pratiques traditionnelles dit :

  • La circoncision des filles (khafd) est une atteinte à l'intégrité physique et une déformation de la création d'être humain que Dieu a façonné de la meilleure manière et sous la meilleure forme.
  • La circoncision des filles est une opération sauvage que les religions célestes ne permettent pas.
  • La circoncision des filles n'est ni un devoir, ni une sunnah, mais un acte qui relève de l'époque préislamique (al-gahiliyyah : la période de l'ignorance) contre l'excès de laquelle le Prophète a mis en garde dans son récit : "Coupe légèrement et n'exagère pas car c'est plus agréable pour la femme et meilleur pour le mari".
  • La circoncision des filles ne sauvegarde pas la chasteté, cette dernière étant sauvegardée par l'éducation qui promeut la bonne morale et l'enseignement musulman sain.
  • La circoncision des filles a précédé les religions et elle est pratiquée par de nombreux peuples de différentes religions et convictions dont seuls le Soudan, l'Egypte et la Somalie sont musulmans.
  • Evitez donc la circoncision des filles.

Cette organisation, toute en rejetant d'une manière générale la circoncision féminine, semble suggérer au troisième paragraphe la pratique de la circoncision dite sunnah en lieu et place de la circoncision pharaonique qui a court au Soudan. Un document préparé par le Conseil national de l'assistance sociale en collaboration avec l'Unicef-Khartoum fait de même. Ce document précise que la forme bénigne de la circoncision s'appelle sunnah, ce qui signifie qu'elle est conforme à la tradition de Mahomet; c'est une manière de la légitimer au lieu de l'éradiquer[173] .

Une attitude similaire est adoptée par l'Egypte. Ce pays a promulgué un décret ministériel (no 74 de 1959) relatif à la circoncision féminine. Le texte est très peu clair. Il dit ce qui suit :

1. Il est interdit aux médecins d'effectuer les opérations de circoncision féminine. Si on le souhaite, seule l'opération de circoncision partielle peut être faite, et non la circoncision totale.

2. Sont interdites les opérations de circoncision féminine dans les unités du Ministère de la santé.

3. Les sages-femmes patentées n'ont pas le droit d'effectuer une intervention chirurgicale quelconque, dont l'opération de circoncision féminine[174] .

Ce texte est extrait d'un ouvrage collectif récent sur la vie de la femme et sa santé. Les auteurs de cet ouvrage disent que ce texte laisse à désirer puisqu'il n'interdit pas la circoncision féminine. Il faut, de ce fait, promulguer une loi qui interdit d'une manière absolue toute forme de circoncision féminine[175]

Les ouvrages juridiques et les recueils de lois égyptiens relatifs à la santé publique ne font jamais mention de ce décret. On ne trouve pas non plus de jugements à ce sujet. En revanche, les tribunaux égyptiens ont condamné un barbier qui avait pratiqué la circoncision d'un garçon provoquant la mort de celui-ci. Contrairement au médecin, dit le jugement, le barbier n'est pas protégé par la loi si son acte aboutit à la mort ou à une infirmité. Il a refusé de prendre en considération l'objectif louable ou charitable du barbier ou l'absence d'intention criminelle. Dans le cas d'espèce, le tribunal a appliqué l'article 200 du code pénal qui prévoit trois à sept ans de travaux forcés ou de détention en cas de blessure volontaire sans intention de donner la mort, mais l'occasionnant[176] . Dans un autre jugement, la Cour de Cassation a affirmé que la sage-femme n'a pas le droit de pratiquer la circoncision, opération réservée aux seuls médecins en vertu de l'article premier de la loi 415/1954. Elle ajouta que toute atteinte à l'intégrité physique, sauf cas de nécessité prévues par la loi, est punissable, à l'exception des actes effectués par un médecin. La sage-femme en question avait circoncis un garçon d'une manière erronée en lui coupant la glande du pénis, lui causant ainsi une infirmité permanente estimée par le tribunal à 25%. La peine infligée à la sage femme était de six mois de travaux forcés avec sursis pour trois ans[177] .

 

IV. Mesures provisoires et préventives

Tout le monde s'accorde pour dire que les mesures légales à elles seules ne suffiront jamais à abolir la circoncision féminine. Il faut en plus, et avant tout, éveiller la conscience des victimes de telles pratiques. Pour cela, il faut comprendre les raisons de ces pratiques. Entre temps, ne faudrait-il pas essayer d'éviter le pire en les permettant, provisoirement, sous une forme modérée, en milieux hospitaliers?

1. Médicalisation

Comme nous l'avons vu plus haut, l'OMS, le Comité inter-africain, la Déclaration de l'Académie suisse des sciences médicales et la Déclaration de Londres rejettent cette possibilité comme contraire à la déontologie médicale. Ils réclament même des peines sévères contre le personnel médical qui pratiquerait la circoncision féminine.

Cette attitude peut être critiquable. Une interdiction légale radicale ne fera qu'encourager la pratique de la circoncision clandestine par des personnes qui n'ont pas les connaissances requises pour éviter les complications mettant en danger la santé de la femme. Le représentant du Sénégal a fait part de ce problème lors de l'élaboration de la Convention relative aux droits de l'enfant. D'où la rédaction actuelle de l'article 24 alinéa 3[178] .

Dominique Vernier pense qu'il faudrait accepter la médicalisation comme elle se pratique chez les élites intellectuelles citadines dans certains pays d'Afrique et acceptée dans certains hôpitaux en Italie, malgré l'hostilité des médecins. Elle propose aussi la substitution de l'excision réelle par l'excision symbolique comme elle se pratique en Guinée. Dans ce pays la forgeronne effectue une simple rature, de manière à faire couler quelques gouttes de sang. Une manière de préserver le rite, sans mutiler l'enfant[179] .

La médicalisation risque cependant de légaliser la circoncision féminine et de la perpétuer, notamment en raison de ses retombées économiques. Lors du Séminaire de l'ONU à Ouagadougou, certains intervenants ont déclaré que le personnel médical, pour des motifs essentiellement pécuniaires, tendait de plus en plus à se substituer aux matrones et aux exciseuses et à réaliser l'excision dans les hôpitaux. Les agents de santé non seulement tirent profit de la pratique de l'excision, mais ils la perpétuent en réduisant au minimum les risques. La cupidité aidant, ils ignorent délibérément le côté sinistre des mutilations sexuelles. Conscient de la confiance et des égards que leur accorde la population, ils abusent de la naïvité des parents pour montrer le bien-fondé de la coutume. Selon les participants au dit Séminaire, une telle orientation devrait être sévèrement combattue parce qu'elle risque de donner une nouvelle légitimité à l'excision[180] .

2. Comprendre

A. Gaudio et R. Pelletier voient dans la circoncision féminine "une expression du pouvoir masculin"[181] , une "volonté diabolique de contrôler la sexualité féminine, tyrannie infinie du mâle dominateur sous l'alibi de la culture"[182] .

Nawal El-Saadawi, elle-même excisée, explique le maintien de la circoncision féminine dans la société arabe par la volonté de domination de l'homme :

The importance given to virginity and an intact hymen in these societies is the reason why female circumcision still remains a very widespread practice despite a growing tendency, especially in urban Egypt, to do away with it as something outdated and harmful. Behind circumcision lies the belief that, by removing parts of girls' external genital organs, sexual desire is minimized. This permets a female who has reached the dangerous age of puberty and adolescence to protect her virginity, and therefore her honour, with greater ease. Chastity was imposed on male attendants in the female harem by castration which turned them into inoffensive eunuchs. Similarly female circumcision is meant to preserve the chastity of young girls by reducing their desire for sexual intercourse[183] .

Elle ajoute que la circoncision féminine est un moyen pour dominer la femme, surtout dans une société patriarcale dans laquelle un homme peut avoir plusieurs femmes. On a eu ainsi recours à différents moyens pour la plier sexuellement à un seul homme et contrôler à qui appartiennent les enfants[184] .

Pour le Docteur Gérard Zwang, la circoncision est motivée par "la culpabilisation métaphysique". C'est la motivation "de toutes les mutilations sexuelles que les humains s'infligent depuis qu'ils ont inventé les couteaux de pierre ou de métal. Celle qui rend nulle et non avenue toute considération non religieuse, métaphysique" :

Par culpabilisation métaphysique, la plupart des humains offrent aux dieux, à la divinité, aux esprits, des sacrifices. De plaisirs terrestres, de joies charnelles, d'organes destinés au plaisir. Dans le but d'obtenir "une bonne situation" dans la vie extra, supra ou infra-terrestre qui suit nécessairement (!) la mort. D'où les jeûnes, carêmes, ramadans, aliments tabous, d'où les prescriptions limitatrices de la vie sexuelle, chasteté, continence, retaillage divers des organes génitaux (circoncision, excision, infibulation, subincision, hémi-castration, etc.)[185] .

L'intérêt économique peut aussi expliquer le maintien de la circoncision féminine. Nous l'avons vu plus haut concernant la circoncision en milieux hospitaliers. On peut aussi le constater en milieux traditionnels où les sage-femmes qui profitent financièrement de telles pratiques ne sont pas prêtes à renoncer à ces pratiques[186] . Dans certaines régions, le métier d'exciseuse se transmet de mère en fille, et la survie de la famille en dépend. L'éradication de la pratique de l'excision aurait pour conséquence de supprimer l'unique source de revenu de la famille. De ce fait, on préconise un système de recyclage afin de faire des exciseuses des matrones, leur permettant ainsi d'abandonner l'excision au profit d'une autre activité rémunératoire[187]   L'intérêt économique joue aussi un rôle en ce qui concerne la circoncision masculine. Au Canada, où les assurances commencent à refuser le remboursement de la circoncision, celle-ci est en nette régression[188] .

Il faut ajouter que la dot est plus élevée lorsque la fille est vierge au moment du mariage que si elle ne l'est pas; la virginité des jeunes filles est donc un avantage à monnayer. Cela explique souvent l'ardeur de certains peuples à défendre la pratique de l'infibulation[189] .

3. Eduquer

Nawal El-Saadawi affirme que les filles avec lesquelles elle avait discuté n'étaient pas conscientes du préjudice que la circoncision féminine pouvait leur causer. Certaines pensaient même qu'elle était bon pour la santé et la propreté, surtout parce que le mot utilisé dans le langage commun est la purification (taharah). Les filles croient que cette opération visait à les purifier, à empêcher les gens de parler contre elles, à les empêcher de courir les hommes et à éviter la répulsion de leur mari. Après leur guérison, Elles avaient un sentiment de satisfaction d'avoir été purifiées. Ce type de réponse, Nawal El-Saadawi l'avait obtenu même de la part d'étudiantes en médecine, lesquelles n'avaient jamais appris de leurs professeurs ou de livres étudiés que le clitoris avait une fonction sexuelle. Jamais on ne posait de question au sujet du clitoris à l'examen de médecine, le clitoris étant considéré sans importance[190] .

D'après les témoignages recueillis par Wedad Zenie-Ziegler de femmes égyptiennes, les paysannes pratiquent la circoncision féminine parce que "cela s'est toujours fait"; elles n'en connaissent pas la raison[191] . "L'idée que cette opération puisse représenter une mutilation ne leur vient même pas à l'esprit"[192] .

Wedad Zenie-Ziegler ajoute que ces femmes vont "s'appliquer à perpétuer le rituel, tant qu'elles n'auront pas compris que ce sacrifie est inutile et qu'il s'inscrit dans un immense complot destiné à les assujettir à la domination masculine"[193] .

 

 

Chapitre V
Le 3me Symposium international sur la circoncision

Entre le 22 et le 25 mai 1994, s'est tenu à Université de Maryland, près de Washington, le troisième symposium sur la circoncision. J'y ai été invité pour présenter une conférence intitulée : Muliter au nom de Yahvé ou d'Allah : légitimation de la circoncision masculine et féminine. Il s'agissait d'exposer la position du droit musulman face à la circoncision masculine et féminine.

Le rapport suivant sur ce symposium permet au lecteur de comprendre les enjeux de la cironcision tels qu'ils se posent aux Etats-Unis.

I. Organisateurs et participants

Ce symposium a été organisé par NOCIRC (National organization of circumcision information resource centers)[194] . Y ont participé une centaine de personnes appartenant aux trois religions monothéistes (Christianisme, Judaïsme et Islam) venant des États-Unis, du Canada, du Mexique, de l'Australie, de l'Angleterre, de la France, de la Suisse, de la Somalie et de l'Égypte.

Une quarantaine de conférenciers se sont exprimés dans ce symposium, chaque conférence étant suivie de débats. Nous avons aussi vu deux films, l'un sur la circoncision masculine aux États-Unis et l'autre sur la circoncision féminine en Somalie.

Tous les aspects de la circoncision ont été traités : médicaux, psychologiques, économiques, religieux et juridiques. Ma propre conférence traitait de la circoncision en droit musulman. Elle a été précédée et suivie de conférences sur la circoncision dans le christianisme et le judaïsme.

Une exposition de photos et de dessins a été organisée dans une salle où on pouvait en outre acheter ou acquérir gratuitement de nombreux documents et ouvrages produits essentiellement par les conférenciers et les groupes qui ont participé au symposium. Un groupe avait fait quarante copies de mon étude susmentionnée; elles ont été toutes vendues.

Le symposium a été clos le 25 mai par un banquet lors duquel ont été distribué sept diplômes aux personnes qui ont contribué à faire avancer la lutte contre la circoncision tant masculine que féminine. Le 26 mai a eu lieu une manifestation à Washington contre la circoncision (voir plus loin).

II. Raisons de ce symposium

Comme son titre l'indique, le symposium en question est le troisième du genre. Ce qui démontre en soi que la circoncision est un véritable problème, notamment aux États-Unis. Quel est ce problème?

La circoncision infantile est passée de l'Angleterre aux pays anglophones après 1870 comme moyen pour prévenir ou soigner la masturbation considérée dans ce temps-là comme la cause de l'alcoolisme et de nombreux désordres physiques et mentaux. Après que cette théorie a été déclarée fausse en 1948 par le Service national britannique de la santé, le taux des circoncis a été réduit à moins d'un 0.5% en Angleterre. Le taux des circoncis au Canada et en Australie a aussi baissé mais reste encore d'environ 20%.

Aux États-Unis, avec le développement des naissances dans les hôpitaux, la circoncision infantile est restée largement pratiquée. La communauté médicale a essayé de trouver des justifications "médicales" pour la maintenir. Encore aujourd'hui, les États-Unis restent le seul pays au monde dont la majorité des nouveau-nés mâles sont circoncis pour des raisons non-religieuses. Ce taux est aujourd'hui de 60%, avec des différences d'une région à l'autre. Environ 3'300 bébés subissent la circoncision quotidiennement dans les hôpitaux des États-Unis. Ce qui représente plus de 1'250'000 enfants circoncis chaque année. Plusieurs bébés meurent à la suite de cette opération pratiquée sans anesthésie, et de nombreuses complications médicales en résultent. La circoncision est considérée aujourd'hui comme une des raisons de la violence qui règne dans la société américaine où le taux du crime est six fois plus élevé qu'en Europe. En effet, la circoncision porte atteinte au cerveau de l'enfant. Elle porte aussi atteinte au fonctionnement normal de la sexualité chez les adultes : selon les cas, un quart de la peau du pénis du bébé est coupé. Ce qui a poussé de nombreux américains à recourir à une restauration de leur prépuce (voir plus loin).

Aux États-Unis, l'Académie médicale de pédiatrie adopte une position neutre face à la circoncision. Elle laisse aux parents la décision de circoncire ou de ne pas circoncire leurs enfants. On ne peut cependant dire qu'ils soient informés des implications de leur décision. Les médecins donnent rarement des informations sur les bienfaits ou les méfaits de la circoncision. L'opération devient de la sorte une routine, faite d'une manière barbare (et le mot n'est pas trop fort) par des médecins intéressés par le gain matériel, avec le consentement non-éclairé de parents ignorants, sur des enfants qui ne peuvent exprimer leurs désirs. Certes, la circoncision pourrait, dans des cas rarissimes, être utile pour soigner certaines maladies comme le phimosis. Mais sa pratique actuelle aux États-Unis, comme partout ailleurs dans le monde, dénote une banalisation coupable au mépris de l'intégrité physique de l'enfant.

III. Combattre la circoncision en identifiant ses acteurs

Durant ce symposium, les participants ont essayé de voir comment on pouvait mettre fin à la circoncision masculine. Pour ce faire, il fallait s'adresser aux acteurs impliqués dans la circoncision.

1. Les médecins

Il s'agit d'une corporation qui est très difficile à affronter. Les participants avaient peu confiance en eux : un médecin tire profit de l'opération de la circoncision et on ne peut lui demander de couper la branche sur laquelle il est assis. L'opération de la circoncision et le commerce du prépuce (utilisé pour les grands brûlés), constituent un marché juteux aux États-Unis d'un à deux milliards de dollars par année. Malgré cela, certains médecins se sont convertis et sont devenus des opposants à la circoncision. Certains sont venus apporter leurs témoignages et plaider contre la circoncision. L'un d'eux a offert à NOCIRC le plateau sur lequel il circoncisait et nous a donné une conférence intitulée : "Leave it alone".

2. Les infirmières

Il y a aussi les infirmières qui participent aux opérations de circoncision. Ces infirmières peuvent être facilement mobilisées contre la circoncision en raison des souffrances atroces dont elles sont témoins lors de la circoncision des bébés. Une telle opération, faut-il le dire, se passe dans les premiers jours qui suivent la naissance et elle est faite sans anesthésie. Nous avons pu voir un film d'une telle opération et écouter plusieurs fois la voix d'un enfant circoncis. C'est véritablement insupportable. Ce n'est d'ailleurs pas sans raison que la circoncision se passe toujours en l'absence des parents, à portes fermées. Le bébé est attaché aux pieds et aux mains et immobilisé sur un plateau en plastique moulé dans sa forme. Son prépuce est tiré et coincé par une pince en métal et le prépuce est coupé par une lame. Nous avons pu voir le plateau : un véritable instrument de torture.

Les infirmières cependant craignent d'être démises de leurs fonctions si elles refusent de participer à de telles opérations en tant qu'objecteuses de conscience. Ainsi, la fondatrice de NOCIRC était une infirmière. Elle a perdu son travail en raison de son opposition à la circoncision. Actuellement, il semblerait que l'opposition soit plus facile à faire. Une douzaine d'infirmières de l'hôpital St-Vincent, à Santa Fe, Nouveau Mexique (dont plusieurs de religion juive)[195] , ont informé par lettre leur direction qu'elles refusent désormais de participer à la circoncision. Trois de ces infirmières (dont deux juives) étaient présentes lors du symposium et nous ont donné les raisons pour lesquelles elles ont pris cette décision : ces raisons sont les suivantes :

  • La circoncision néonatale est une violation du droit du nouveau-né mâle à un corps intact.
  • Il n'existe pas de raison médicale valable pour l'amputation du prépuce. Amputer le prépuce prive l'enfant d'une partie de son corps qui a une fonction protectrice et sexuelle.
  • La circoncision est une opération chirurgicale qui comporte des risques de complications, comprenant l'hémorragie, l'infection et la mutilation.
  • La circoncision néonatale est pénible. Souvent elle a lieu sans anesthésie ou avec une anesthésie inadéquate. En outre, la souffrance postopératoire est rarement traitée.
  • L'information des parents dans ce domaine est très souvent incomplète et basée sur des mythes.
  • L'enfant n'est pas en mesure dans cet âge vulnérable d'exprimer ses propres désirs ou de se protéger.

Ces infirmières ont fait pleurer tout le monde dans la salle.

3. Les assurances

Les assurances peuvent jouer un rôle important dans l'abolition de la circoncision masculine. Ainsi au Canada où les assurances refusent de payer les frais de la circoncision, le taux des circoncis est en chute libre. Ceci semble être aussi le cas dans certains États des États-Unis. Les organisateurs et les participants voudraient convaincre les assurances de ne plus payer pour la circoncision.

4. Les responsables religieux

La circoncision est pratiquée par les adeptes des trois religions monothéistes : Juifs, Musulmans et Chrétiens.

En ce qui concerne les Juifs, la circoncision masculine découle de la Bible (Genèse 17 : 9-14 cités plus haut).

C'est en effet de cette communauté que provient l'opposition la plus farouche contre l'abolition de la circoncision. Les justifications soit disant "médicales" de la circoncision ont été fournies principalement par les chercheurs de religion juive. Des pays occidentaux ont établi des lois contre la circoncision féminine, mais n'osent pas faire de même pour la circoncision masculine de peur qu'ils ne soient traités d'antisémites. Il faut cependant observer que des voix juives américaines s'élèvent contre la pratique de la circoncision (voir plus loin).

Les Musulmans pratiquent systématiquement la circoncision masculine. Pourtant le Coran ne fait aucune mention de cette pratique. Bien au contraire, on peut y trouver des versets qui peuvent être invoqués contre elle :

Notre Seigneur! Tu n'a pas créé tout ceci en vain (3 : 191).

[Dieu] a bien fait tout ce qu'il a créé (32 : 7).

[Le démon dit] : "Oui, je prendrai un nombre déterminé de tes serviteurs; je les égarerai et je leur inspirerai de vains désirs; je leur donnerai un ordre, et ils fendront les oreilles des bestiaux; je leur donnerai un ordre, et ils changeront la création de Dieu" (4 : 119).

On peut déduire des deux premiers versets que le prépuce est une partie intégrante du corps humain créée par Dieu et on ne saurait le supprimer pour parfaire l'oeuvre de Dieu. Le troisième verset considère le changement de la nature comme une obéissance au démon.

La pratique de la circoncision chez les musulmans provient principalement des normes juives : chaque musulman doit se circoncire comme Abraham qui est considéré comme un modèle. On invoque aussi des récits peu fiables de Mahomet. Ces récits ont été réunis 200 ans après la mort de Mahomet.

En ce qui concerne les Chrétiens, Saint Paul leur propose la circoncision dans le coeur au lieu de la circoncision dans la chair (Épître aux Romains 2 : 29). Malgré cela, il existe un courant chrétien évangélique aux États-Unis qui suit la Bible à la lettre et croit que ce livre comporte des normes médicales scientifiques que le croyant devrait suivre, dont la circoncision. A signaler ici que les Mormons pratiquent largement la circoncision bien que leur Livre saint considère les normes bibliques relatives à la circoncision comme abrogées.

5. Les organisations internationales

Les organisations internationales refusent de se mouiller dans ce domaine. Elles ont peur d'être traitées d'antisémites. C'est le cas notamment de l'Organisation mondiale de la santé, du Conseil de la Population de l'ONU, du Comité inter-africain.

6. Le législateur national : vers une loi incriminant la circoncision

Fallait-il passer une loi incriminant la circoncision masculine? Telle était la question qui revenait souvent lors du symposium. Bien que de nombreux juifs opposés à la circoncision aient participé au symposium, ils étaient en général contre l'adoption d'une telle loi. La majorité des participants cependant étaient d'avis qu'il fallait faire une loi qui incrimine la circoncision masculine au même titre que la circoncision féminine. Il n'y avait aucune raison pour distinguer entre les deux formes de circoncisions, toutes deux étant des mutilations sexuelles d'organes sains pratiquées sur des enfants non consentants. Il n'y avait aucune raison qui puisse justifier de telles mutilations. Si le prépuce était inutile, la nature ne l'aurait pas créé. Il fallait dans tous les cas laisser l'enfant intact jusqu'à l'âge de 18 ans et lui laisser la liberté de décider de se faire circoncire ou non. Il est libre, une fois grand, de se faire couper les oreilles s'il le veut, mais on n'a pas le droit de disposer de son corps quant il est bébé.

J'étais le seul juriste présent dans le symposium. J'ai demandé aux organisateurs d'inviter la prochaine fois d'autres juristes et des professeurs de droit afin de pouvoir présenter un projet de loi condamnant la circoncision masculine et féminine. Je leur ai aussi proposé :

  • d'identifier les professeurs de droit qui pourraient être intéressés par ce sujet dans leur enseignement et de mettre à leur disposition le matériel nécessaire
  • de fournir aux bibliothèques de droit les documents de base pour pousser les chercheurs à faire des études dans ce domaine.

Certes, l'adoption d'une loi incriminant la circoncision masculine provoquera la colère et l'opposition des milieux juifs. Mais si une loi doit être adoptée, les États-Unis sont les premiers à pouvoir le faire en raison de leur soutien inconditionnel à Israël. C'est le seul pays qui ne craint pas d'être traité d'antisémite et c'est dans ce pays que l'opposition à la circoncision est la mieux organisée.

IV. Comment restaurer son prépuce

Ce titre peut prêter à rire. Il s'agit en réalité d'une méthode connue dans le passé, notamment dans la période hellénique (323-30 avant J.-C.) et dans l'empire romain (27 avant J.-C. - 140 après J.-C.). Elle est mise au point aux États-Unis.

Cette méthode part de la constatation que la circoncision masculine est une atteinte à l'intégrité physique qui perturbe le fonctionnement normal de l'organe masculin mutilé, notamment lorsque une grande partie du prépuce est coupée. Elle consiste à provoquer l'extension (stretching) de la peau du pénis pour compenser la partie coupée par la circoncision. Il s'agit notamment de tirer la peau du pénis et de la bander dans une première étape avant d'y suspendre des objets métalliques d'un certain poids fixés par du sparadrap. L'opération dure environ quinze mois au bout desquels la peau du pénis retrouve la longueur qu'elle devait avoir si elle n'était pas circoncise.

Cette méthode a été expérimentée par Jim Bigelow sur lui-même et sur d'autres[196] . Jim Bigelow n'est pas un médecin, mais un docteur en psychologie et un pasteur de l'Église évangélique. Il a exposé cette méthode dans un livre[197] . J'ai acheté ce livre qui est plein de renseignements non seulement sur la restauration du prépuce, mais aussi sur la circoncision en général, notamment telle que pratiquée aux États-Unis. Il s'agit d'un ouvrage scientifique de 239 pages, très sérieux et fortement documenté. C'est probablement le plaidoyer le plus vibrant contre la circoncision masculine jamais écrit.

Jim Bigelow est un homme charmant et plein d'humour. Il était présent au symposium. Il nous a donné une conférence avec de nombreuses diapositives. Il n'hésitait pas à parler d'une histoire à succès et m'a avoué par la suite qu'il avait écrit son ouvrage par esprit de charité chrétienne. La restauration du prépuce selon sa méthode a été accomplie avec succès par des centaines de circoncis, non seulement chrétiens, mais aussi juifs (ce qui n'a pas manqué à provoquer la colère des rabbins). Accueillis au début avec scepticisme par les milieux médicaux, son ouvrage et sa méthode ont fini par être reconnus. Quelques Européens y ont recours. Deux médecins étaient même venus de l'Australie pour assister à sa conférence. De nombreux témoins chrétiens et juifs présents dans la salle ont apporté leur appui à Jim Bigelow et ont avoué qu'ils en avaient tiré un grand profit sur le plan sexuel. Bien plus, de nombreux groupes de soutien aux circoncis désireux de restaurer leurs prépuces se sont constitués aux États-Unis et même en Europe dans le but de prodiguer gratuitement conseil et appui moral[198] .

V. Manifestation à Washington

Le 26 mai, les organisateurs du symposium et les participants ont fait une manifestation à Washington devant le Physician Committee for responsible medecine (P.O.Box 6322, Washington DC 20015). Plusieurs participants avaient porté des copies de leur certificat de naissance sur lequel était inscrit le médecin qui les avaient circoncis. Ils les ont brûlés devant cet organisme avec la Déclaration universelle des droits de l'homme qui ne protège pas les droits de l'enfant contre les mutilations sexuelles. Comme cet organisme se situait devant la télévision nationale, plusieurs photographes et cameramen étaient présents à la manifestation.

Le directeur de cet organisme (Mr. Neal Barnard, M. D.) a demandé aux manifestants de former un comité pour le rencontrer. La présidente de NOCIRC, le président de NOHARMM[199] , deux autres membres de NOCIRC, une infirmière juive objecteuse de conscience qui refuse de participer aux opérations de circoncision et moi-même (chrétien d'origine palestinienne) ont été sélectionnés. La discussion a duré environ 45 minutes.

Le directeur était très sympathique et a donné la parole à chacun de nous. Moi-même, je me suis présenté comme juriste suisse, chrétien d'origine palestinienne, et l'infirmière s'est présentée comme américaine de religion juive fière d'être en ma compagnie en tant que palestinien. Ce qui a contribué à calmer le directeur. Celui-ci disait qu'il avait tant de problèmes médicaux à régler aux États-Unis qu'il ne pouvait s'occuper du problème de la circoncision sans devoir laisser de côté un autre problème. Il avançait aussi le problème du budget. Ce à quoi nous lui avons répondu qu'en commençant par le respect de l'enfant, il aura moins à s'en occuper une fois grand et épargnera de la sorte beaucoup d'argent. Quant aux objectifs, nous lui avons dit qu'il fallait éduquer les parents et faire une loi interdisant la circoncision masculine au même titre que la circoncision féminine. Dans l'opération de circoncision, l'enfant n'est pas consentant, et ses parents ne peuvent pas consentir à sa place en matière de circoncision. Dans tous les cas, pour que les parents puissent consentir valablement, il faudrait qu'ils soient bien informés. Ce qui n'est nullement le cas actuellement aux États-Unis. Moi-même, j'ai exprimé mon indignation devant le taux élevé et injustifié des circoncisions pratiquées aux États-Unis; une telle pratique viole les droits de l'homme que les États-Unis prétendent défendre.

Lorsque nous sommes sortis de la rencontre avec le directeur, l'infirmière juive et moi-même avons déclaré devant les cameramen que c'était la première fois dans l'histoire humaine qu'une juive et un palestinien s'unissaient pour sauver les enfants du monde au lieu de tuer les enfants des uns et des autres comme au Proche-Orient. Nous en étions fiers comme des coqs.

Ce sentiment de fierté était d'ailleurs partagé par tous les participants au symposium. Tous avaient le sentiment d'être des pionniers et que leur prise de position avait une valeur historique. C'est la première fois dans l'histoire qu'un groupe décide de lutter pour mettre fin à une pratique qualifiée unanimement comme barbare et dégradante.

Les différents travaux du symposium seront publiés. J'espère vivement que les milieux médicaux suisses s'intéresseront à ces travaux et prendront position contre la circoncision tant masculine que féminine. J'espère surtout que les infirmières suisses suivront l'exemple des courageuses infirmières de Santa Fe et refuseront d'assister aux opérations de circoncision pratiquées dans les hôpitaux suisses.

 

Conclusion

Pour nous, un Dieu qui exige de ses croyants de se mutiler pour les marquer, par leur sexe, comme on marque du bétail, est un Dieu d'une morale douteuse. On peut comprendre que la circoncision masculine ou féminine, comme toute autre intervention médicale, puisse être justifiée dans des cas spécifiques et sur indications médicales individuelles. Mais mutiler les enfants, garçons ou filles, et en prétendant leur faire du bien, relève du cynisme et du fanatisme.

A cet effet, il n'existe aucune raison qui puisse justifier la distinction entre circoncision féminine et la circoncision masculine. Le Docteur Zwang va encore plus loin. Il affirme : "On ne pourra jamais mettre fin à la circoncision féminine tant qu'on continue à pratiquer la circoncision masculine. Comment voulez-vous convaincre un Africain de ne pas circoncire sa fille si en même temps vous lui permettez de circoncire son fils?"[200] . On ne peut, à cet effet, que condamner l'attitude des organisations internationales et non-gouvernementales pour la dissociation de ces deux types de mutilations, légitimant de la sorte la circoncision masculine.

La religion a été un instrument pour justifier la circoncision masculine et féminine. Il faudrait donc démasquer son caractère irrationnel et dénoncer le rôle néfaste de certains milieux religieux qui la défendent ou qui refusent de la combattre.

C'est le but de cette étude qui, je l'espère, contribuera au respect des droits des enfants.

Dr. Sami A. ALDEEB ABU-SAHLIEH

 

Avis aux intéressés

Je dispose d'un grand nombre de documents sur la circoncision masculine et féminine. Ils sont mis à la disposition de toute personne intéressée. Je suis aussi prêt à discuter de ce problème avec ceux qui le souhaitent. Il suffit à cet effet de me contacter à l'adresse suivante : contact à l'attention de Sami Aldeeb (le courriel sera transmis sans délai)

 

Ouvrages de Sami Aldeeb, Dr en Droit

Responsable du droit arabe et musulman à l'Institut suisse de droit comparé, Lausanne

Les musulmans face aux droits de l’homme
(Religion, Droit & Politique)
Editeur: Winkler, P.O.B. 102665, 44726 Bochum, Allemagne, 1994, 610 pages

Circoncision masculine – circoncision féminine
(Débat religieux, médical, social et juridique)
L'Harmattan, Paris, 2001, 537 pages

Male and female circumcision among Jews, Christians and Muslims
(Religious, medical, social and legal debate)
Shangri-La Publications, Warren Center, PA 19951, USA, 400 pages.

Cimetière musulman en Occident
(Normes juives, chrétiennes et musulmanes)
L'Harmattan, Paris, 2002, 168 pages.

Les Musulmans en Occident entre droits et devoirs
L'Harmattan, Paris, 2002, 296 pages

Muslims in the West caught between rights and duties
Shangri-La Publications, Warren Center, PA 19951, USA, 2002, 318 pages

L'impact de la religion sur l'ordre juridique, cas de l'Egypte, non-musulmans en pays d'Islam, Fribourg/Suisse 1979, 420 pages (60 Sfr).

Discriminations contre les non-juifs tant chrétiens que musulmans en Israël, Lausanne, 1992, 36 pages (5 Sfr).

Nouvelle édition augmentée, juillet 1994
Chez l'auteur
Ochettaz 17
1025 St-Sulpice/Suisse

Les ouvrages demandés peuvent être obtenus auprès de leurs éditeurs respectifs, soit directement, soit à travers un libraire local.

 

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