Chapitres ¬
Introduction

Exploitée

Mutilée

Assassinée

• Maltraitée

Mariée

Illettrée...
 
... à suivre

Cent cinquante mille enfants placés, plusieurs dizaines de milliers d'enfants violentés, battus, maltraités par des mots ou par des coups. Où, quand, cela se passe-t-il ? En France, aujourd'hui. Il serait bien excessif de dire que les droits des enfants, dans ce pays, sont massivement violés, et que les plus jeunes d'entre nous souffrent d'abandon chronique ou d'un mépris généralisé. Mais nul ne peut se satisfaire d'une situation où s'enchevêtrent autant de paradoxes. L'éducation nationale absorbe près d'un quart (23 %) du budget de l'Etat, soit 388 milliards de francs. L'action sociale des départements au profit des enfants atteint la somme prodigieuse de 30 milliards de francs, une somme qui s'ajoute à la première. La médecine investit des montants colossaux dans le traitement de la stérilité, de la prématurité, des maladies génétiques. Qui se plaindrait d'une telle sollicitude au profit des enfants, traduite en budgets aussi formidables ?


Enfance maltraitée

.... Mais, dans le même temps, qu'observe-t-on ? Que la justice des mineurs reste - selon l'adage - une justice mineure, à laquelle manquent, pour le moins, cent cinquante magistrats et soixante-quinze greffiers. Et que les sommes supplémentaires nécessaires au fonctionnement normal de ce type très singulier de justice - chargée à la fois de protéger et de punir les mineurs - ne représentent que 1 % de ce que les départements consacrent à l'aide sociale à l'enfance - soit environ 300 millions de francs. A l'heure actuelle, ceux-ci n'ont pu être dégagés.Souffrances psychiques

Qu'observe-t-on encore ? Qu'en ces temps de médecine ultratechnique, un enfant, un adolescent, violé, abusé sexuellement, battu, suicidaire, fugueur, peut n'être pris en charge par un psychothérapeute qu'au bout de six mois, après inscription sur une liste d'attente. S'il était cardiaque, s'il s'était fracturé un membre, sa prise en charge serait, à coup sûr, immédiate. Mais la souffrance psychique peut attendre...
Le peut-elle vraiment dans un pays qui détient le taux de suicide des jeunes le plus élevé d'Europe ? En France, un tiers des tentatives de suicide des jeunes sont suivies d'une récidive. Pourtant seul un tiers de ces tentatives font l'objet d'une hospitalisation. Faut-il alors s'étonner que le suicide, dans ce groupe d'âge, soit - juste après les accidents de la route - la deuxième cause de mortalité ?
La pédiatrie se trouve dans le même état que la pédopsychiatrie, c'est-à-dire dans ce qu'il faut bien appeler le dénuement. Les investissements publics se concentrent sur la partie la plus technique de la médecine, au détriment de l'acte intellectuel fourni par le médecin, au détriment de sa présence et de son écoute.

Paradoxe encore dans la prise en charge « sociale » des enfants. Sur les 150 000 enfants « placés », combien le sont pour des raisons qui tiennent autant à la pauvreté des familles qu'à de véritables carences éducatives ? La moitié, estime ATD-Quart-Monde, qui dénonce ainsi l'instauration d'un « délit de pauvreté ».
Il ne fait aucun doute que la pratique du placement reste abusive : la France est l'une des nations développées qui recourent le plus au placement - solution, certes, parfois indispensable mais qui devrait, à l'évidence, n'être qu'exceptionnelle. Est-il vraiment nécessaire de placer un nouveau-né le jour de sa naissance, sans même avoir fait procéder à une enquête minutieuse sur la dangerosité supposée de ses parents ? A-t-on mesuré le caractère absurde du placement dans des familles d'accueil rémunérées alors que les mêmes sommes auraient pu permettre le maintien de l'enfant dans sa propre famille ? D'exceptionnelle, cette mesure est devenue, dans certains départements, quasi routinière.
Paradoxe aussi dans ce qui prélude au placement. Dans un pays qui ne cesse d'affirmer le droit des justiciables à se défendre, les parents auxquels la justice s'apprête à enlever leur enfant pour le placer n'ont pas accès à leur dossier. Leur avocat n'a que le droit de le « consulter », pas même d'en photocopier les pièces, cas unique en droit français. Comment veut-on que ces parents ne ressentent pas le placement de leur enfant comme un rapt ? Quel « travail » ces familles pourront-elles faire pendant le temps du placement, présenté comme une mesure temporaire ? Dans quelles conditions l'enfant pourra-t-il leur être rendu ? Par quel enchantement la situation aura-t-elle pu s'améliorer ?
Les exemples de tels paradoxes fourmillent. Sans doute sont-ils en partie inévitables, dans une société aussi complexe où les dispositifs se sont ajoutés les uns aux autres, au fil des ans, sans faire disparaître les précédents. Ce n'est que tout récemment que le gouvernement s'est doté d'un ministère chargé de la famille et de l'enfance, et Mme Ségolène Royal, sa titulaire, affronte ces problèmes avec détermination.
Mais c'est la société tout entière qui fait face à un formidable défi. Dans un pays qui compte quatorze millions de mineurs, qui leur consacre des efforts gigantesques, le moment est venu de s'interroger non pas sur l'ampleur de ces efforts mais bien sur leur orientation. Il est temps de se demander s'il existe une véritable stratégie pour répondre aux besoins immenses, pluridisciplinaires, des adolescents. Pourquoi sont-ils si violents ? Pourquoi retournent-ils autant de violence contre eux-mêmes ou, ce qui est la même chose, contre leurs pairs ? Pourquoi notre société ne se donne-t-elle pas les moyens de les entendre ? Pourquoi est-elle à ce point tentée par les réponses répressives - alors que manquent si cruellement, pour eux, les structures d'accueil et d'écoute ?De sinistres faits divers
IL faut remonter plus haut. L'immense majorité des problèmes qui éclatent bruyamment à l'adolescence se sont tissés beaucoup plus tôt, parfois pendant les premières années de la vie. La détection précoce est primordiale, et, par conséquent, les prises en charge dès l'enfance sont essentielles. Tout cela, on le sait. Pourquoi le fait-on si peu ?
Ce n'est pas là déficit de savoirs. Les savoirs sont là. Les structures existent. Les bonnes volontés sont nombreuses. Pourquoi un pays aussi riche en hommes, en connaissances théoriques et pratiques sur l'enfance ne se donne-t-il pas les moyens d'une refonte radicale de ses dispositifs ?
Peut-être est-ce parce que le respect de l'enfant n'est pas entré dans nos habitudes collectives. Certes, l'enfant est au centre de toutes les préoccupations des adultes, au coeur même du discours politique. Mais il y a là comme un tic de langage, un abus rhétorique, comme s'il fallait demander aux mots de suppléer des attitudes de profonde indifférence ou de total aveuglement, face à une réalité qui reste tout autre.
Sans doute sommes-nous parvenus à l'amorce d'une prise de conscience. Il y aura fallu des génocides, des décennies de massacres ou, plus près de nous, la survenue de sinistres faits divers pour secouer, s'agissant des enfants, la torpeur ambiante. Ce n'est là que l'ébauche d'un très long travail, qui repose sur le simple constat de Witold Gombrowicz : « Tout est cousu d'enfance. »

Claire BRISSET

 

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