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«
La liberté de conscience n'a pas besoin d'être
protégée. Il n'existe aucun artifice pour empêcher quelqu'un,
doué de raison, de s'en servir, quoique... La liberté d'expression,
acquis plus que précieux, a en revanche grandement besoin d'être
préservée et protégée contre certaines "valeurs",
pas mauvaises en soi (honneur, respect, dignité) qui attaquent et tendent
à limiter cette liberté fondamentale. Si ces dernières sont
des valeurs, les deux premières sont des libertés.
Qu'y a-t-il de plus précieux ? » | |
Anticléricalisme
et Liberté d'Expression
Le Marquis
de Sade a bien plus marqué la littérature et l'histoire pour ses
contes et nouvelles érotiques, à la fois théorie et illustrations
du sadisme, que pour son farouche anticléricalisme et athéisme sans
conditions. Sa nouvelle posthume «Dialogue entre un prêtre et un moribond»
n'a pourtant rien à envier aux plus belles envolées antireligieuses...
Il n'en existe finalement pas tant que cela. On vous en propose quelques-unes
sur cette page. _____
L'Instituteur philosophe _____ Nouvelle
du Marquis de Sade
De
toutes les sciences qu'on inculque dans la tête d'un enfant lorsqu'on travaille
à son éducation, les mystères du christianisme, quoique une
des plus sublimes parties de cette éducation sans doute, ne sont pourtant
pas celles qui s'introduisent avec le plus de facilités dans son jeune
esprit. Persuader par exemple à un jeune homme de quatorze ou quinze ans
que Dieu le père et Dieu le fils ne sont qu'un, que le fils est consubstantiel
à son père et que le père l'est au fils, etc., tout cela,
quelque nécessaire néanmoins que cela soit au bonheur de la vie,
est plus difficile à faire entendre que de l'algèbre et lorsqu'on
veut y réussir, on est obligé d'employer de certaines tournures
physiques, de certaines explications matérielles qui, toutes disproportionnées
qu'elles sont, facilitent pourtant à un jeune homme l'intelligence de l'objet
mystérieux.
| "
L'instit " | | Personne
n'était plus profondément pénétré de cette
méthode que M. l'abbé Du Parquet, précepteur du jeune comte
de Nerceuil, âgé d'environ quinze ans et de la plus jolie figure
qu'il fût possible de voir. - M. l'abbé, disait journellement
le petit comte à son instituteur, en vérité la consubstantialité
est au-dessus de mes forces, il m'est absolument impossible d'entendre que deux
personnes puissent n'en faire qu'une : développez-moi ce mystère,
je vous en conjure, ou mettez-le du moins à ma portée. L'honnête
abbé, envieux de réussir dans son éducation, content de pouvoir
faciliter à son élève tout ce qui pouvait en faire un jour
un joli sujet, imagina un moyen assez plaisant d'aplanir les difficultés
qui embarrassaient le comte, et ce moyen pris dans la nature devait nécessairement
réussir. Il fit venir chez lui une petite fille de treize à quatorze
ans et ayant bien éduqué la mignonne, il la conjoint à son
jeune élève. - Eh bien, lui dit-il, à présent,
mon ami, concevez le mystère de la consubstantialité : comprenez-vous
avec moins de peine qu'il est possible que deux personnes n'en fassent qu'une
? - Oh mon Dieu, oui, monsieur l'abbé, dit le charmant énergumène,
j'entends tout maintenant avec une facilité surprenante ; je ne m'étonne
pas si ce mystère fait, dit-on, toute la joie des personnes célestes,
car il est bien doux quand on est deux de s'amuser à ne faire qu'un.
Quelques
jours après, le petit comte pria son instituteur de lui donner une autre
leçon, parce que, prétendait-il, il y avait encore quelque chose
dans le mystère qu'il n'entendait pas bien et qui ne pouvait s'expliquer
qu'en le célébrant encore une fois, ainsi qu'il l'avait déjà
fait. Le complaisant abbé que cette scène amusait vraisemblablement
autant que son élève, fait revenir la petite fille et la leçon
se recommence, mais cette fois, l'abbé singulièrement ému
de la perspective délicieuse que le joli petit de Nerceuil lui présentait
en se consubstantiant avec sa compagne, ne put tenir à se mettre en tiers
dans l'explication de la parabole évangélique, et les beautés
que ses mains doivent parcourir pour cela finissent bientôt par l'enflammer
totalement. - Il me semble que ça va beaucoup trop vite, dit Du Parquet
en captivant les reins du petit comte, trop d'élasticité dans les
mouvements, d'où il résulte que la conjonction n'étant plus
si intime présente moins bien l'image du mystère qu'il s'agit de
démontrer ici... Si nous fixions, oui, de cette manière, dit le
fripon en rendant à son écolier ce que celui-ci prête à
la jeune fille. - Ah ! Oh mon Dieu, que vous me faites de mal, monsieur l'abbé,
dit le jeune enfant, mais cette cérémonie me paraît inutile
; que m'apprend-elle de plus au sujet du mystère ? - Eh ventrebleu,
dit l'abbé en balbutiant de plaisir, ne vois-tu pas bien, mon cher ami,
que je t'apprends tout à la fois ? C'est la trinité, mon enfant...
c'est la trinité qu'aujourd'hui je t'explique, encore cinq ou six leçons
pareilles et tu seras docteur en Sorbonne. Marquis de Sade
_____
Dialogue entre un prêtre et un moribond _____ Marquis
de Sade - Texte Intégral LE
PRÊTRE : Arrivé à cet instant fatal où le voile
de l'illusion ne se déchire que pour laisser à l'homme séduit
le tableau cruel de ses erreurs et de ses vices, ne vous repentez-vous point,
mon enfant, des désordres multipliés où vous ont emporté
la faiblesse et la fragilité humaine? LE
MORIBOND : Oui, mon ami, je me repens. - Eh bien,
profitez de ces remords heureux pour obtenir du ciel, dans le court intervalle
qui vous reste, l'absolution générale de vos fautes, et songez que
ce n'est que par la méditation du très saint sacrement de la pénitence
qu'il vous sera possible de l'obtenir de l'Éternel. Je ne t'entends
pas plus que tu ne m'as compris. - Eh quoi! Je
t'ai dit que je me repentais. - Je l'ai entendu.
Oui, mais sans le comprendre. - Quelle interprétation...
! La voici... Créé par la nature avec des goûts
très vifs, avec des passions très fortes uniquement placé
dans ce monde pour m'y livrer et pour les satisfaire, et ces effets de ma création
n'étant que des nécessités relatives aux premières
vues de la nature ou, si tu l'aimes mieux, que des dérivaisons essentielles
à ses projets sur moi, tous en raison de ses lois, je ne me repens que
de n'avoir pas assez reconnu sa toute-puissance, et mes uniques remords ne portent
que sur le médiocre usage que j'ai fait des facultés (criminelles
selon toi, toutes simples selon moi) qu'elle m'avait données pour la servir.
Je lui ai quelquefois résisté, je m'en repens; aveuglé par
l'absurdité de tes systèmes, j'ai combattu par eux toute la violence
des désirs que j'avais reçus par une inspiration bien plus divine,
et je m'en repens; je n'ai moissonné que des fleurs, quand je pouvais faire
une ample récolte de fruits... Voilà les justes motifs de mes regrets;
estime-moi assez pour ne m'en pas supposer d'autres. -
Où vous entraînent vos erreurs, où vous conduisent vos sophismes
! Vous prêtez à la chose, créée toute la puissance
du créateur, et ces malheureux penchants qui vous ont égaré,
vous ne voyez pas qu'ils ne sont que des effets de cette nature corrompue, à
laquelle vous attribuez la toute-puissance. Ami, il me paraît
que ta dialectique est aussi fausse que ton esprit. Je voudrais que tu raisonnasses
plus juste, ou que tu me laissasses mourir en paix. Qu'entends-tu par créateur,
et qu'entends-tu par la nature corrompue ? - Le créateur
est le maître de l'univers, c'est lui qui a tout fait, tout créé,
et qui conserve tout par un simple effet de sa toute-puissance. Voilà
un grand homme assurément! Eh bien, dis-moi pourquoi cet homme-là,
qui est si puissant, a pourtant fait selon toi une nature corrompue. -
Quel mérite eussent eu les hommes, si Dieu ne leur eût pas laissé
leur libre arbitre? et quel mérite eussent-ils eu à en jouir s'il
n'y eût eu sur la terre la possibilité de faire le bien et celle
d'éviter le mal? Ainsi ton Dieu a voulu faire tout de travers,
uniquement pour tenter ou pour éprouver sa créature : il ne la connaissait
donc pas, il ne se doutait donc pas du résultat? -
Il la connaissait sans doute, mais, encore un coup , il voulait lui laisser le
mérite du choix. A quoi bon, dès qu'il savait le parti
qu'elle prendrait et qu'il ne tenait qu'à lui, puisque tu le dis tout-puissant,
qu'il ne tenait qu'à lui, dis-je, de lui faire prendre le bon! -
Qui peut comprendre les vues immenses et infinies de Dieu sur l'homme, et qui
peut comprendre tout ce que nous voyons ? Celui qui simplifie les choses,
mon ami, celui surtout qui ne multiplie pas les causes, pour mieux embrouiller
les effets. Qu'as-tu besoin d'une seconde difficulté, quand tu ne peux
pas expliquer la première ? et dès qu'il est possible que la nature
toute seule ait fait ce que tu attribues à ton dieu, pourquoi veux-tu lui
aller chercher un maître! La cause de ce que tu, ne comprends pas est peut-être
la chose du monde la plus simple. Perfectionne ta physique, et tu comprendras
mieux la nature; épure ta raison, bannis tes préjugés, et
tu n'auras plus besoin de ton dieu. - Malheureux! je
ne te croyais que socinien, j'avais des armes pour te combattre, mais je vois
bien que tu es athée, et dès que ton coeur se refuse à l'immensité
des preuves authentiques que nous recevons chaque jour de l'existence du créateur,
je n'ai plus rien à te dire. On ne rend point la lumière à
un aveugle. Mon ami, conviens d'un fait : c'est que celui des deux
qui l'est le plus doit assurément être plutôt celui qui se
met un bandeau que celui qui se l'arrache. Tu édifies, tu inventes, tu
multiplies moi je détruis, je simplifie. Tu ajoutes erreurs sur erreurs:
moi je les combats toutes. Lequel de nous deux est l'aveugle ? -
Vous ne croyez donc point en Dieu? Non. Et cela par une raison bien
simple : c'est qu'il est parfaitement impossible de croire ce qu'on ne comprend
pas. Entre la compréhension et la foi, il doit exister des rapports immédiats;
la compréhension est le premier aliment de la foi; où la compréhension
n'agit point, la foi est morte, et ceux qui, dans tel cas, prétendraient
en avoir, en imposent. Je te défie toi-même de croire au dieu que
tu me prêches, parce que tu ne saurais me le démontrer, parce qu'il
n'est pas en toi de me le définir, que par conséquent tu ne le comprends
pas, que, dès que tu ne le comprends pas, tu ne peux plus m'en fournir
aucun argument raisonnable, et qu'en un mot tout ce qui est au-dessus des bornes
de l'esprit humain, est ou chimère ou inutilité; que ton dieu ne
pouvant être que l'une ou l'autre de ces choses, dans le premier cas je
serais un fou d'y croire, un imbécile dans le second. Mon ami, prouve-moi
l'inertie de la matière, et je t'accorderai le créateur; prouve-moi
que la nature ne se suffit pas à elle-même, et je te permettrai de
lui supposer un maître. Jusque-là n'attends rien de moi, je ne me
rends qu'à l'évidence, et je ne la reçois que de mes sens;
où ils s'arrêtent ma foi reste sans force. Je crois le soleil, parce
que je le vois; je le conçois comme le centre de réunion de toute
la matière inflammable de la nature, sa marche périodique me plaît
sans m'étonner. C'est une opération de physique peut-être
aussi simple que celle de l'électricité, mais qu'il ne nous est
pas permis de comprendre. Qu'ai-je besoin d'aller plus loin? Lorsque tu m'auras
échafaudé ton dieu au-dessus de cela, en serai-je plus avancé,
et ne me faudra-t-il pas encore autant d'effort pour comprendre l'ouvrier que
pour définir l'ouvrage ? Par conséquent, tu ne m'as rendu aucun
service par l'édification de ta chimère, tu as troublé mon
esprit, mais tu ne l'as pas éclairé, et je ne te dois que de la
haine au lieu de reconnaissance. Ton dieu est une machine que tu as fabriquée,
pour servir tes passions, et tu l'as fait mouvoir à leur gré, mais
dès queue gêne les miennes, trouve bon que je l'aie culbutée;
et dans l'instant où mon âme faible a besoin de calme et de philosophie,
ne viens pas l'épouvanter de tes sophismes, qui l'effraieraient sans la
convaincre, qui l'irriteraient sans la rendre meilleure; elle est, mon ami, cette
âme, ce qu'il a plu à la nature qu'elle soit, c'est-à-dire
le résultat des organes qu'elle s'est plu de me former en raison de ses
vues et de ses besoins; et, comme elle a un égal besoin de vices et de
vertus, quand il lui a plu de me porter aux premiers, elle l'a fait, quand elle
a voulu les secondes, elle m'en a inspiré les désirs, et je m'y
suis livré tout de même. Ne cherche que ses lois pour unique cause
à notre inconséquence humaine, et ne cherche à ses lois d'autres
principes que ses volontés et ses besoins. -
Ainsi donc tout est nécessaire dans le monde? Assurément.
- Mais si tout est nécessaire, tout est donc réglé
? Qui te dit le contraire ? - Et qui peut
régler tout comme il l'est, si ce n'est une main toute-puissante et toute
sage ? N'est-il pas nécessaire que la poudre s'enflamme quand
on y met le feu ? - Oui. Et quelle sagesse
trouves-tu à cela ? - Aucune. Il est,
donc possible qu'il y ait des choses nécessaires sans sagesse, et possible,
par conséquent, que tout dérive d'une cause première, sans
qu'il y ait ni raison ni sagesse dans cette première cause. -
Où en voulez-vous venir? À te prouver que tout peut être
ce qu'il est et ce que tu le vois, sans qu'aucune cause sage et raisonnable le
conduise, et que des effets naturels doivent avoir des causes naturelles, sans
qu'il soit besoin de leur en supposer d'antinaturelles, telle que le serait ton
dieu qui lui-même, ainsi que je te l'ai déjà dit, aurait besoin
d'explication, sans en fournir aucune; et que par conséquent dès
que ton dieu n'est bon à rien, il est parfaitement inutile; qu'il y a grande
apparence que ce qui est inutile est nul et que tout ce qui est nul est néant.
Ainsi, pour me convaincre que ton dieu est une chimère, je n'ai besoin
d'aucun autre raisonnement que celui que me fournit la certitude de son inutilité.
- Sur ce pied-là, il me paraît peu nécessaire
de vous parler de religion. Pourquoi pas ? Rien ne m'amuse comme la
preuve de l'excès où les hommes ont pu porter sur ce point-là
le fanatisme et l'imbécillité. Ce sont de ces espèces d'écarts
si prodigieux, que le tableau, selon moi, quoique horrible, en est toujours intéressant.
Réponds avec franchise, et surtout bannis l'égoïsme. Si j'étais
assez faible que de me laisser surprendre à tes ridicules systèmes
sur l'existence fabuleuse de l'être qui rend la religion nécessaire,
sous quelle forme me conseillerais-tu de lui offrir un culte ? Voudrais-tu que
j'adoptasse les rêveries de Confucius plutôt que les absurdités
de Brahma? adorerais-je le grand serpent des nègres, l'astre des Péruviens,
ou le dieu des armées de Moïse ? A laquelle des sectes de Mahomet
voudrais-tu que je me rendisse ? Ou quelle hérésie de chrétiens
serait selon toi préférable? Prends garde à ta réponse.
- Peut-elle être douteuse? La voilà
donc égoïste. - Non, c'est t'aimer autant
que moi que de te conseiller ce que je crois. Et c'est nous aimer bien
peu tous deux que d'écouter de pareilles erreurs. -
Eh! qui peut s'aveugler sur les miracles de notre divin rédempteur?
Celui qui ne voit en lui que le plus ordinaire de tous les fourbes et le
plus plat de tous les imposteurs. - Ô dieux, vous
l'entendez et vous ne tonnez pas! Non, mon ami, tout est en paix, parce
que ton dieu, soit impuissance, soit raison, soit tout ce que tu voudras enfin
dans un être que je n'admets un moment que par condescendance pour toi,
ou si tu l'aimes mieux pour me prêter à tes petites vues, parce que
ce dieu, dis-je, s'il existe comme tu as la folie de le croire, ne peut pas pour
nous convaincre avoir pris des moyens aussi ridicules que ceux que ton Jésus
suppose. - Eh quoi! les prophéties, les miracles,
les martyrs, tout cela ne sont pas des preuves? Comment veux-tu, en
bonne logique, que je puisse recevoir comme preuve tout ce qui en a besoin soi-même?
Pour que la prophétie devînt il preuve, il faudrait d'abord que j'eusse
la certitude complète qu'elle a été faite. Or, cela étant
consigné dans l'histoire, ne peut plus avoir pour moi d'autre force que
tous les autres faits Historiques, dont les trois quarts sont fort douteux. Si
à cela j'ajoute encore l'apparence plus que vraisemblable qu'ils ne me
sont transmis que par des historiens intéressés, je serai comme
tu vois plus qu'en droit de douter. Qui m'assurera d'ailleurs que cette prophétie
n'a pas été faite après coup, qu'elle n'a pas été
l'effet de la combinaison de la plus simple politique, comme celle qui voit un
règne heureux sous un roi juste, ou de la gelée dans l'hiver? Et
si tout cela est, comment veux-tu que la prophétie, ayant un tel besoin
d'être prouvée, puisse elle-même devenir une preuve? À
l'égard de tes miracles, ils ne m'en imposent pas davantage. Tous les fourbes
en ont fait, et tous les sots en ont cru. Pour me persuader de la vérité
d'un miracle, il faudrait que je fusse bien sûr que l'événement
que vous appelez tel fût absolument contraire aux lois de la nature, car
il n'y a que ce qui est hors d'elle qui puisse passer pour miracle : et qui la
connaît assez pour oser affirmer que tel est précisément le
point où elle s'arrête et précisément celui où
elle est enfreinte? Il ne faut que deux choses pour accréditer un prétendu
miracle : un bateleur et des femmelettes. Va, ne cherche jamais d'autre origine
aux tiens, tous les nouveaux sectateurs en ont fait, et, ce qui est plus singulier,
tous ont trouvé des imbéciles qui les ont crus. Ton Jésus
n'a rien fait de plus singulier qu' Apollonius de Thyane, et personne pourtant
ne s'avise de prendre celui-ci pour un dieu. Quant à tes martyrs, ce sont
bien assurément les plus débiles de tous tes arguments. Il ne faut
que de l'enthousiasme et de la résistance pour en faire, et tant que la
cause opposée m'en offrira autant que la tienne, je ne serai jamais suffisamment
autorisé à en croire une meilleure que l'autre, mais très
porté en revanche à les supposer toutes les deux pitoyables.
Ah ! mon ami, s'il était vrai que le dieu que tu prêches existât,
aurait-il besoin de miracles, de martyrs et de prophéties pour établir
son empire ? Et si, comme tu le dis le coeur de l'homme était son ouvrage,
ne serait-ce pas là le sanctuaire qu'il aurait choisi pour sa loi? Cette
loi égale, puisqu'elle émanerait d'un dieu juste, s'y trouverait
d'une manière irrésistible également gravée dans tous
et d'un bout de l'univers à l'autre; tous les hommes, se ressemblant par
cet organe délicat et sensible, se ressembleraient également par
l'hommage qu'ils rendraient au dieu de qui ils le tiendraient; tous n'auraient
qu'une façon de l'aimer, tous n'auraient qu'une façon de l'adorer
ou de le servir, et il leur deviendrait aussi impossible de méconnaître
ce dieu que de résister au penchant secret de son culte. Que vois-je au
lieu de cela dans l'univers ? Autant de dieux que de pays, autant de manières
de servir ces dieux que de différentes têtes ou de différentes
imaginations. Et cette multiplicité d'opinions dans laquelle il m'est physiquement
impossible de choisir serait, selon toi, l'ouvrage d'un dieu juste? Va, prédicant,
tu l'outrages, ton dieu, en me le présentant de la sorte; laisse-moi le
nier tout à fait, car s'il existe, alors je l'outrage bien moins par mon
incrédulité que toi par tes blasphèmes. Reviens à
la raison, prédicant: ton Jésus ne vaut pas mieux que Mahomet, Mahomet
pas mieux que Moïse, et tous les trois pas mieux que Confucius, qui pourtant
dicta quelques bons principes pendant que les trois autres déraisonnaient.
Mais en général tous ces gens-là ne sont que des imposteurs,
dont le philosophe s'est moqué, que la canaille a crus et que la justice
aurait dû faire pendre. - Hélas! elle ne
l'a que trop fait pour l'un des quatre. C'est celui qui le méritait
le mieux. Il était séditieux, turbulent, calomniateur, fourbe, libertin,
grossier farceur et méchant dangereux, possédait l'art d'en imposer
au peuple, et devenait par conséquent punissable dans un royaume en l'état
où se trouvait alors celui de Jérusalem. Il a donc été
très sage de s'en défaire, et c'est peut-être le seul cas
où mes maximes, extrêmement douces et tolérantes d'ailleurs
puissent admettre la sévérité de Thémis. J'excuse
toutes les erreurs, excepté celles qui peuvent devenir dangereuses dans
le gouvernement où l'on vit; les rois et leurs majestés sont les
seules choses qui m'en imposent, les seules que je respecte, et qui n'aime pas
son pays et son roi n'est pas cligne de vivre. - Mais
enfin vous admettez bien quelque chose après cette vie ? Il est impossible
que votre esprit ne se soit pas quelquefois plu à percer l'épaisseur
des ténèbres du sort qui nous attend: et quel système peut
l'avoir mieux satisfait que celui d'une multitude de peines pour celui qui vit
mal et d'une éternité de récompenses pour celui qui vit bien?
Quel, mon ami? celui du néant. Jamais il ne m'a effrayé,
et je n'y vois rien que de consolant et de simple; tous les autres sont l'ouvrage
de l'orgueil, celui-là seul l'est de la raison. D'ailleurs il n'est ni
affreux ni absolu, ce néant. N'ai-je pas sous mes yeux l'exemple des générations
et régénérations perpétuelles de la nature. Rien ne
périt, mon ami, rien ne se détruit dans le monde; aujourd'hui homme,
demain ver, après-demain mouche, n'est-ce pas toujours exister? Eh ! pourquoi
veux-tu que je sois récompensé de vertus auxquelles je n'ai nul
mérite, ou puni de crimes dont je n'ai pas été le maître
? Peux-tu accorder la bonté de ton prétendu dieu avec ce système
et peut-il avoir voulu me créer pour se donner le plaisir de me punir,
et cela seulement en conséquence d'un choix dont il ne me laisse pas le
maître ? - Vous l'êtes. Oui,
selon tes préjugés; mais la raison les détruit, et le système
de la liberté de l'homme ne fut jamais inventé que pour fabriquer
celui de la grâce, qui devenait si favorable à vos rêveries.
Quel est l'homme au monde qui, voyant l'échafaud à côté
du crime, le commettrait, s'il était libre de ne pas le commettre? Nous
sommes entraînés par une force irrésistible, et jamais un
instant les maîtres de pouvoir nous déterminer pour autre chose que
pour le Côté vers lequel nous sommes inclinés. Il n'y a pas
une seule vertu qui ne soit nécessaire à la nature, et réversiblement,
pas un seul crime dont elle n'ait besoin, et c'est dans le parfait équilibre
qu'elle maintient des uns et des autres, que consiste toute sa science. Mais pouvons-nous
être coupables du côté dans lequel elle nous jette? Pas plus
que ne l'est la guêpe qui vient darder son aiguillon dans ta peau. -
Ainsi donc le plus grand de tous les crimes ne doit nous inspirer aucune frayeur?
Ce n'est pas là ce que je dis: il suffit que la loi le condamne,
et que le glaive de la justice le punisse, pour qu'il doive nous inspirer de l'éloignement
ou de la terreur, mais, dès qu'il est malheureusement commis; il faut savoir
prendre son parti, et ne pas se livrer au stérile remords. Son effet est
vain, puisqu'il n'a pu nous en préserver, nul, puisqu'il ne le répare
pas : il est donc absurde de s'y livrer, et plus absurde encore de craindre d'en
être puni dans l'autre monde, si nous sommes assez heureux que d'avoir échappé
de l'être en celui-ci. À Dieu ne plaise que je veuille par là
encourager au crime! Il faut assurément l'éviter tant qu'on le peut,
mais c'est par raison qu'il faut savoir le fuir, et non par de fausses craintes
qui n'aboutissent à rien et dont l'effet est sitôt détruit
dans une âme un peu ferme. La raison, mon ami, oui, la raison toute seule
doit nous avertir que de nuire à nos semblables ne peut jamais nous rendre
heureux, et notre coeur que de contribuer à leur félicité
est la plus grande pour nous que la nature nous ait accordée sur la terre.
Toute la morale humaine est renfermée dans ce seul mot: rendre les autres
aussi heureux que l'on désire de l'être soi-même et ne leur
jamais' faire plus de mal que nous n'en voudrions recevoir. Voilà, mon
ami, voilà les seuls principes que nous devions suivre, et il n'y a besoin
ni de religion, ni de dieu pour goûter et admettre ceux-là : il n'est
besoin que d'un bon coeur. Mais je sens que je m'affaiblis, prédicant;
quitte tes préjugés, sois homme, sois humain, sans crainte et sans
espérance; laisse là tes dieux et tes religions; tout cela n'est
bon qu'à mettre le fer à la main des hommes, et le seul nom de toutes
ces horreurs a plus fait verser de sang sur la terre que toutes les autres guerres
et les autres fléaux à la fois. Renonce à l'idée d'un
autre monde, il n'y en a point; mais ne renonce pas au plaisir d'être heureux
et d'en faire en celui-ci. Voilà la seule façon que la nature t'offre
de doubler ton existence ou de l'étendre... Mon ami, la volupté
fut toujours le plus cher de mes biens; je l'ai encensée toute ma vie,
et j'ai voulu la terminer dans ses bras : ma fin approche, six femmes plus belles
que le jour sont dans ce cabinet voisin, je les réservais pour ce moment-ci;
prends-en ta part, tâche d'oublier sur leurs seins, à mon exemple,
tous les vains sophismes de la superstition, et toutes les imbéciles erreurs
de l'hypocrisie. Note
: Le moribond sonna, les femmes entrèrent, et le prédicant devint
dans leurs bras un homme corrompu par la nature, pour n'avoir pas su expliquer
ce que c'était que la nature corrompue. Marquis
de Sade LA
BOUTIQUE DE L'UNION DES ATHÉES -
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