Partie
II LA
THÉORIE DE L'ÉVOLUTION FACE
À LA DOCTRINE CRÉATIONNISTE La
conception biblique véhiculée par l'enseignement catholique du catéchisme
officiel est donc un enseignement créationniste et fixiste en ce qui concerne
l'univers en général et la nature vivante en particulier. Or la
période moderne est venue bousculer complètement cette représentation
pieuse de la théologie qui avait longtemps été appelée,
par usurpation, "Reine des sciences ". La théorie de l'évolution
biologique est une des dernières grandes révolutions intellectuelles
qu'ait connu l'humanité. Elle est d'ailleurs aujourd'hui à replacer
dans une vaste conception évolutive qui déborde notre monde pour
embrasser rien moins que l'univers. En effet la cosmologie nous présente
un univers en devenir, actuellement en expansion, à partir du fameux "big-bang"
qui reste pour l'instant inatteignable (Mur de Planck) mais qui n'est sans doute
pas un commencement comme le voudraient certains créationnistes.
L'évolution cosmique voit la matière s'organiser en particules,
atomes , molécules qu'une évolution chimique complexifiante conduira
à des formes primitives de vie que l'évolution biologique, à
son tour, complexifiera en organismes de plus en plus performants comprenant,
entre autres, l'espèce humaine, elle même en évolution psycho-sociale.
Cela dit, et pour décentrer un peu l'homme que les vues créationnistes
finalistes veulent trop présenter comme un "couronnement", il
est juste de considérer que nous ne sommes pas la seule espèce qui
ait réussi; on peut tout aussi bien le dire des espèces bactériennes
par exemple.
Le triomphe de l'évolution est dans le grand comme dans le petit! Il
nous faut maintenant présenter les caractéristiques de la conception
scientifique évolutive et dire comment les sciences "voient"
l'homme en dehors de toute conception religieuse, il restera alors à savoir
si une conciliation est possible avec une vision dogmatique de l'homme.
Où en est aujourd'hui le stade d'avancement de la théorie de l'évolution
biologique? Je m'en tiendrai effectivement à l'évolution biologique,
laissant de côté les évolutions précédentes.
Cette théorie n'a cessé de s'affiner. Après les intuitions
du 18 ème siècle, quatre stades peuvent être schématiquement
distingués dans la maturation de cette théorie: Stade
du lamarckisme (1809): Il
est caractérisé par deux "lois", loi d'adaptation et loi
d'hérédité des caractères acquis... Dans la conception
lamarckienne les êtres vivants ont une tendance à la stabilité
mais le les milieu perturbe et fait évoluer en provoquant des changements
adaptatifs qui se conservent dans la descendance.
Stade du Darwinisme (1859): A
l'influence du milieu, Darwin ajoute des variations d'origine purement interne.
Les êtres variants entrent en concurrence avec les autres et entre eux (lutte
pour la vie), dans des conditions d'un milieu donné qui sélectionne
les individus, laissant survivre les plus aptes, éliminant
les autres. Dans la pensée darwinienne les êtres vivants ont tendance
à varier et c'est le milieu qui trie. La
révolution darwinienne est donc d'avoir expliqué les adéquations
structures - fonctions - environnement (adaptations) sans avoir recours comme
la théologie naturelle, à une explication transcendante. (Le
darwinisme mériterait un long développement. Pour ne pas alourdir
cet exposé, se reporter à l'article qui lui est consacré.)
[ lire
" La théorie darwinienne de l'évolution"
] Stade
de la théorie synthétique (1947): C'est
un darwinisme revu et corrigé en fonction des connaissances nouvelles.
Ce stade résulte d'une synthèse entre trois domaines: la génétique
(Travaux de Dobzhansky), la systématique - science de la classification
- (travaux de B. E. Mayr) et la paléontologie (travaux de G. Simpson).
Le raisonnement, dans cette conception, dépasse les individus et se place
au niveau populationnel, et les seules sources de variations héréditaires
sont les mutations.
Jusqu'à une période récente la théorie synthétique,
validée par un très grand nombre de faits, posait des problèmes
d'ordre explicatif. N'étaient bien compris que les mécanismes de
la microévolution, c'est à dire les mécanismes
expliquant qu'une espèce peut être à l'origine d'une autre
espèce (spéciation), par exemple, une espèce de pinson, à
l'origine d'une autre espèce de pinson. La
macroévolution, se rapportant aux transformations de grande
ampleur (par exemple le passage de la nageoire au membre adapté au milieu
terrestre ou le passage du plan des invertébrés au plan des vertébrés,
posait des problèmes délicats. Avec les progrès de la biologie
moléculaire et le regain de l'embryologie (la grande oubliée de
la théorie synthétique) un nouveau stade est atteint que certains
(F Chaline) appellent le "stade des horloges du vivant" (1)
et que je nommerai, pour ne pas être restrictif, phase contemporaine.
Stade de la phase contemporaine : Je
développerai quelque peu ce stade contemporain qui propose une théorie
encore plus synthétique que la précédente et permet dès
maintenant de dire que les mécanismes explicatifs de la micro et de la
macroévolution sont du même ordre. Il n'y a qu'une seule mécanique
évolutive.
L'embryologie s'occupe des étapes de l'ontogenèse c'est à
dire du passage de l'uf à l'organisme adulte, bref, de l'actualisation
progressive des informations génétiques de l'uf permettant
la réalisation d'un nouvel individu. Les
embryologistes ont mis en évidence une chronologie du développement
embryonnaire et on insiste aujourd'hui sur la valeur évolutive que peut
avoir l'altération de la chronologie du développement.. Les altérations
peuvent concerner: - la
vitesse (accélération, décélération)
- la durée (hypomorphose,
hypermorphose)
-
le "top" du début de développement qui peut être
avancé (pré-déplacement) ou retardé (post-déplacement).
La
chronologie embryonnaire est certes sous contrôle génétique
mais cela n'exclut pas les influences environnementales car il existe des gènes
thermoactivables et chimioactivables (teneur du milieu en oxygène par exemple).
Une nouvelle discipline, la biologie évolutive du développement,
a justement pour but de relier la génétique et le développement.
Dans le domaine de la génétique, la découverte de "gènes
architectes" - homéogènes ou gènes homéobox -
revêt une importance capitale. Ces gènes ont la propriété
de déterminer une protéine qui régule l'activité d'autres
gènes, en particulier ceux qui contrôlent les propriétés
des cellules et déterminent les structures. Ils sont responsables de la
polarité des cellules embryonnaires aussi bien dans le sens antéro-postérieur
que dorso-ventral. Ils activent les cellules embryonnaires d'une situation spatiale
donnée, à un moment donné, à une vitesse donnée,
pendant une durée donnée.
Pour essayer d'être simple, si nous comparons un organisme à une
maison, les gènes architectes ne seront pas responsables de chaque moellon
mais de la position relative des différents niveaux : toit en haut, rez
de chaussée en bas, 1er étage entre deux et de la disposition relative
des différentes pièces...
Classe
des vertébrés
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|
|
Pour
P. Chaline, ces gènes constituent "les ressorts
des horloges internes du vivant". Les gènes architectes
des différents groupes d'animaux dériveraient,
par mutations, d'un complexe ancestral remontant à
600 millions d'années. Ces gènes s'avèrent
très proches malgré l'éloignement des
groupes animaux. Initialement nommés différemment,
ils se sont avérés interchangeables chez les
insectes et les mammifères. Les gènes architectes
des vertébrés proviennent des gènes des
invertébrés, par mutation duplicative.
Bien que les gènes architectes n'expliquent pas encore
tout, au niveau céphalique par exemple (mais
des progrès sont bien sûr attendus), on comprend
qu'ils puissent estomper les difficultés liées
à la distinction micro/macroévolution.
Si
des mutations touchent les gènes intervenant dans une phase précoce
de l'embryogenèse, les conséquences peuvent être d'une grande
ampleur, c'est à dire de type macroévolutif, jusqu'à un changement
de plan d'organisation. En effet l'embryologie classique (von Baer) a montré
que les caractères les plus fondamentaux apparaissent avant les caractères
spécialisés. Ainsi il est remarquable que les stades embryonnaires
jeunes des différentes classes de vertébrés ne peuvent être
morphologiquement distingués si, comme le disait von Baer, des étiquettes
n'ont pas été collées sur le flacon. Ce n'est que plus tard
que les particularités liées aux différentes classes se différencieront.
Les mutations intervenant plus tardivement sont de type microévolutif
portant sur des caractères n'allant pas au delà
de la spéciation (formation d'une espèce nouvelle
appartenant à un même genre).
Ces quelques notions étant données, il convient, en liaison avec
la problématique qui nous intéresse, d'insister sur le hasard
et la contingence qui ne peuvent s'accorder avec le finalisme biblique.
En son temps, le livre de J. Monod : "Le Hasard et la Nécessité"
eut un immense retentissement et provoqua de vives réactions chez les spiritualistes.
Si la théorie actuelle considère que le terme hasard a été
surévalué, (et peut-être mal choisi car faisant penser à
des phénomènes sans causes), il n'en reste pas moins qu'il traduit
l'imprévisibilité de toute nouveauté génétique.
Relisons ce qu'écrivait J. Monod en 1970 :
«
Nous disons que ces altérations (mutations) sont accidentelles, qu'elles
ont lieu au hasard. Et puisqu'elles constituent la seule source possible de modifications
du texte génétique, seul dépositaire, à son tour,
des structures héréditaires de l'organisme, il s'ensuit nécessairement
que le hasard seul est à la source de toute nouveauté, de
toute création dans la biosphère. Le hasard pur, le seul hasard,
liberté absolue mais aveugle, à la racine même du prodigieux
édifice de l'évolution... Elle est (cette notion) la seule concevable,
comme seule compatible avec les faits d'observation et d'expérience (...).
Tiré du règne du pur hasard (l'accident de mutation), il entre dans
celui de la nécessité, des certitudes les plus implacables. Car
c'est à l'échelle macroscopique, celle de l'organisme, qu'opère
la sélection.» J.
Monod |
Les mutations génétiques hasardeuses sont donc, avec les facteurs
environnementaux (entendus au sens large) qui les reçoivent, les moteurs
de l'évolution. A la loterie des mutations, fondement de tout transformisme,
s'ajoutent d'autres loteries: 1.
Loterie de la rencontre des partenaires sexuels caractérisés chacun
par un génome différent absolument unique.
2. Loterie de la répartition des gènes lors de la méiose
c'est à dire lors des divisions cellulaires qui vont conduire à
la formation des gamètes ou cellules sexuelles (spermatozoïdes et
ovules) contenant moitié moins de chromosomes que les cellules parentes. 3.
Loterie de la fécondation qui va rétablir le nombre de chromosomes
caractéristique d'une espèce et déterminer le programme génétique
nouveau et obligatoirement original du nouvel individu (à l'exception des
vrais jumeaux). 4.
Loterie de l'environnement, ensemble des facteurs abiotiques et biotiques qui
vont encadrer l'ontogenèse du nouvel individu et sa marche vers la maturité
sexuelle et son éventuel rôle de géniteur. Les
aléas mutationnels et environnementaux sont donc responsables d' une contingence
qui retentit sur l'histoire des êtres vivants, favorisant certains organismes,
en défavorisant d'autres, parfois jusqu'à l'extinction.. Par exemple,
les grands bouleversements géologiques de l'histoire de la terre sont un
défi à toute prévision. L'histoire géologique est
marquée par une succession de crises qui déciment une proportion
souvent considérable d'organismes. Ainsi la plus grande crise connue a
servi à établir la limite entre l'ère primaire et l'ère
secondaire, c'est la crise de la fin du permien avec disparition de plus de 90%
des espèces et 80% des genres .
A la lumière de ces crises, on peut affirmer que la réalisation
des mammifères et de l'homme n'avait rien de nécessaire. La face
du monde actuel aurait pu être tout autre! Ainsi, lors de la crise de la
fin du cambrien, si les formes Pikaia, ancêtres des cordés, avaient
été décimées les vertébrés ne se seraient
jamais réalisés donc l'homme ne serait jamais apparu. Plus tard,
à l'ère quaternaire, le refroidissement climatique qui inaugure
les glaciations a bien failli être fatal. Pascal Picq écrit
: «Si Homo ergaster et le genre Homo au sens strict n'était pas apparu
avant l'affirmation des âges glaciaires, il n'y aurait certainement eu personne
pour écrire et écouter notre histoire évolutive ».
Si nous en restons au plan scientifique, nous sommes de jeunes enfants du hasard.
"A chaque étape de l'histoire qui conduit jusqu'à nous, les
possibilités d'extinction de nos ancêtres ont été grandes.
Dans l'évolution des espèces, rien n'est obligatoire et le hasard
des mutations et des circonstances environnementales joue un rôle majeur
déterminant." (F. Chaline )
Si donc nous sommes enfants du hasard et de la contingence, la question de l'apparition
de l'homme sur la terre est en totale contradiction avec l'enseignement biblique
selon lequel l'homme apparaît d'un coup, voulu par Dieu qui d'un souffle
anime la matière (de même d'ailleurs pour les autres espèces,
animales et végétales.
La paléontologie humaine apporte de nombreuses preuves de la réalité
de l'évolution. Le fait le plus parlant est la constatation que sur 5 ou
6 millions d'années (à partir d'Australopithecus afarensis,
jusqu'à l'homme moderne, les espèces fossiles retrouvées
sont de moins en moins simiesques donc de plus en plus humaines. Même si
le progrès semble parfois brusque, la paléontologie nous offre de
nombreuses marches entre la première, (l'ancêtre le plus lointain)
et la dernière (celle d'Homo sapiens). L'escalier des évolutionnistes
avec ses nombreuses marches n'a rien à voir avec l'escalier à deux
marches des théologiens modernes: la marche de l'animalité d'une
part et la marche de l'humanité d'autre part, avec, entre les deux, intervention
de Dieu pourvoyeur d'âme fondatrice de la spécificité humaine.
On attend toujours des théologiens progressistes qu'ils situent parmi les
homininés fossiles la coupure animal/homme. Leurs écrits à
ce propos, par ailleurs si prolixes dans la démoniaque tentative d'accorder
leurs dogmes à la science de l'évolution, sont lumineusement parlants
par leur brièveté. Ce problème de frontière est devenu
un énorme casse- tête théologique voire une quadrature du
cercle théologique car les progrès de l'éthologie animale
sont venus pulvériser la plupart des critères humains annoncés.
Parlons-en brièvement.
L'éthologie de laboratoire, mais surtout celle de milieu
naturel , cette dernière en particulier initée par des femmes éthologues
(Les "anges de Leakey" : Jane Goodal pour les chimpanzés, Diane
Fossey pour les gorilles et Biruté Galdikas pour les orang-outans) ont
fait tomber le mur que la pensée judéo-chrétienne avait érigé
entre animalité et humanité. La réflexion contemporaine sur
les critères annoncés du propre de l'homme a conduit à une
véritable révolution, tant il devient difficile de trouver chez
l'homme des spécificités absolument inédites et originales.
C'est ainsi que des critères comme la conscience, le rire, les outils,
le langage, la culture ont été relativisés, tant
les données actuelles parlent contre une discontinuité, un hiatus
entre animalité simiesque et humanité. Presque tout ce qui est typiquement
humain est en germe chez les singes qui sont biologiquement les plus proches de
nous. (Cette absence de frontière est évidemment un fort argument
en faveur de la conception évolutive.)
Par ailleurs les données de la biologie moléculaire, avec l'étude
comparative de l'ADN et des protéines qu'il détermine, ont bien
mis en évidence la très proche parenté entre les chimpanzés
les bonobos et l'homme. Les
conséquences scientifiques de tout cela ont été un affinement
de la classification zoologique. Nous ne sommes plus les seuls représentants
de la famille des hominidés, les systématiciens y ont inclus les
grands singes, chimpanzés et bonobos en tête. [ voir
le tableau de classification des primates ]
D'un point de vue philosophique cela va très loin; j'en donne une preuve
qui vous surprendra peut-être: c'est que des débats des plus sérieux
ont eu lieu sur le statut éthique des grands singes afin de savoir si on
pouvait les faire bénéficier des droits de l'homme!
Quoi qu'il en soit de cette question, bien des scientifiques et des philosophes
battent en retraite. Par exemple Elisabeth de Fontenay, philosophe, écrit: "Affirmer
que l'homme ne peut et ne doit pas être défini apparaît donc
comme la seule façon, éthiquement, politiquement et scientifiquement
convenable de procéder."
Toutes ces données modernes sur l'homme sont autant de "gifles"
à l'encontre de la conception biblique.
Unissant leurs résultats, la paléontologie et la biologie moléculaire
proposent des sortes d' arbres généalogiques (arbres phylogénétiques)
de plus en plus précis. Essayons
justement, maintenant, de raconter la longue émergence de l'homme à
partir de l'animalité. Plus nous remontons dans le temps plus notre vision
des origines devient floue; le manque de fossiles au-delà de 8 millions
d'années rend le discours très conjectural .
Entre -8M et -5M (2), on situe la
bifurcation ayant conduit d'une part aux singes les plus proches de l'homme, gorille,
chimpanzé, bonobo (sous-famille des Paninés) et d'autre part à
la sous-famille des Homininés dont nous sommes actuellement les seuls représentants
vivants. L'hominidé
fossile le plus ancien connu aujourd'hui (car tout n'est que provisoire dans cette
vaste construction phylogénétique) est le "fossile du millénaire"
trouvé au kénya; Orrorin tugenensis, le critère
d'humanisation étant ici une bipédie nettement affirmée.
(Nous laissons de côté le récent fossile Tumaï
dont le statut est encore discuté.)
Une remarque s'impose ici à l'adresse des croyants ; La bipédie
est très ancienne; Elle est apparue subitement, certainement dictée
par des gènes architecte. Le cerveau , par contre, n'était pas à
la hauteur de ce bouleversement morphologique. Il est d'abord resté petit,
un peu plus volumineux que celui du singe. La grosse tête est venue après
la bipédie, ce qui n'a pas manqué de heurter la sensibilité
judéo-chrétienne et a fait dire au grand préhistorien Leroi-Gouhran,
non sans humour, que nous étions prêts à tout accepter, sauf
d'avoir commencé par les pieds. Le croyant adepte de l'évolution
doit donc penser que cela a été voulu par Dieu, peut-être
pour l'appeler à plus d'humilité!
Après -5M la multiplication des fossiles de genre australopithèque
(dont la célèbre Lucy est l'exemple emblématique), est venue
singulièrement compliquer la construction phylogénétique.
Je laisserai donc de côté les discussions entre spécialistes
pour ne mentionner qu'une conception (qui bien sûr demeure hypothétique),
celle d'Y. Coppens qui sépare les homininés en deux lignées:
la lignée des australopithèques et la lignée humaine.
Alors quand peut-on admettre que l'homme (le genre Homo) ait émergé
de ses prédécesseurs encore tant simiesques? Si cela est un énorme
problème pour le théologien, c'en est aussi un pour le paléoanthropologue
car tout va dépendre de la représentation qu'il se fait de l'homme!
La bipédie dont je parlais ci-dessus n'est évidemment pas un caractère
suffisant. Il ne suffit pas d'être un mammifère bipède pour
être un homme! La grosse difficulté actuelle est que le monument
des critères propres à l'homme se fissure de partout. Il sera donc
nécessaire d'associer le plus grand nombre possible de critères
pour conclure aux statut d'humanité. Au niveau des seuls fossiles il s'agira
de passer en revue toutes les caractéristiques anatomiques. Un autre critère
sera précieux, celui de l'outillage associé aux fossiles; suivant
son degré de complexité la position systématique sera affinée.
Encore que l'outil ne soit plus le propre de l'homme. Les chimpanzés effeuillent
des branches afin de sélectionner une brindille qui servira à la
capture de termites. Une stratégie est donc ici mise en uvre. Des
galets sont utilisés pour casser des fruits secs. Ces outils, abandonnés
après usage, peuvent même être réutilisés, lors
d'un retour sur les mêmes lieux. Chimpanzés et bonobos montrent donc
l'absence de coupure, de discontinuïté, de hiatus entre paninés
et homininés; ce fait milite donc pour une parenté évolutive.
Si l'on voulait que l'outil soit le propre de l'homme il faudrait en donner une
définition appropriée. L'outil humain est un objet issu d'une matière
première travaillée, transformée en vue d'une fin précise.
C'est aussi un objet que l'on cherche à améliorer et à conserver:
Leroi Gourhan disait que l'outil "résume et prolonge la pensée
de toutes les générations précédentes".
Depuis la classification de Linné (1858), il a fallu ajouter des critères
suite à la découvertes, au 20ème siècle, d'hominidés
fossiles, les australopithèques en particulier. On se fonde surtout sur
les caractéristiques de la tête: crâne, face, le volume cranien
étant déterminant et devant être, en moyenne, supérieur
à 600 cm3. L'outillage associé consiste en outils en pierre taillée,
encore rudimentaires (galets peu retouchés).
Selon les critères retenus les formes les plus anciennes ayant été
dignes de mériter le nom de genre Homo, remontent à -2,5 millions
d'années; ce sont : Homo habilis et Homo rudolfensis
(mais le statut d'Homo est encore fragile et discuté, au regard d'une découverte
récente d'Australopithecus garhi associé à des outils
de pierre taillée). Les
premiers hommes incontestables sont les Homo ergaster apparaissant
vers -2M d'années suivis des Homo erectus et Homo heidelbergensis
puis enfin des Homo neandertalensis et Homo sapiens.
Que le lecteur étudie la figure ci-dessous et il se convaincra que la réalisation
d'Homo sapiens ne s'est pas faite d'un coup de baguette magique créatrice.
Apparition | >
6 MA | >
2,5 MA | >
1,3 MA |
>
200 000 ans
|
>
200 000 ans
|
| Australopithecus
sp. | Homo
habilis homme habile |
Homo
erectus homme érigé |
Homo
(sapiens) neandertalensis homme de Néanderthal |
Homo
sapiens sapiens homme de Cro-magnon |
Taille
(en cms) | 120 | 120 | 140
- 160 | 165
- 175 | 165
(de moyenne) |
Volume du cerveau
(en cm3) | 450 | 650
- 800 | 800
- 1200 | 1600 | 1450 |
Outillage | |
¬ Premiers outils façonnés
¬ Galets aménagés | ¬
Bifaces | ¬
Bifaces et outils en éclat de silex | ¬
Outils en os et bois de renne, de pierre polie et de métal |
Faits
de civilisation | |
¬ Vie en petits groupes
¬ Cantonnés en Afrique ¬ Naissance du langage articulé |
¬ Dans toutes les régions,
même tempérées ¬ Maîtrise du feu (- 600
000 ans, Chou-kou-tien) ¬ Campements de chasseurs |
¬ Développement
des rites funéraires | ¬
Peintures, sculptures, gravures | En
pensant au récit de la Genèse, il serait maintenant intéressant
de savoir à quel moment et pour quelle forme fossile le croyant parle d'homme
digne de ce nom, de l'homme considéré comme voulu par dieu, doué
de cette liberté et de cette responsabilité, en faisant un interlocuteur
à part entière, dans ses relations spirituelles avec son créateur!
La science nous apprend une hominisation progressive alors que la création
est immédiate; On ne voit pas comment ces deux conceptions pourraient être
conciliables! Paul Chauchard dans son ouvrage: "La Science détruit-elle
la Religion?" écrit ceci: "Pratiquement à l'origine, l'homme
paraît très proche de l'animal parce qu'il n'a pas encore appris
à se servir culturellement de son cerveau; il n'a pas un vrai langage développé,
mais une simple possibilité d'articulation qui permettra ce langage et
le permettrait déjà si le langage social existait. On sait mal où
l'homme commence, mais il est certain qu"il a commencé; biologiquement
il n'y a pas de transitions s'il y a des espèces intermédiaires.
On est homme, c'est-à-dire on a les aptitudes cérébrales
humaines ou on ne l'est pas". Alors, parmi les espèces fossiles citées,
lesquelles seraient humaines? Le critère du "langage social"
désignerait les néandertaliens et les hommes de Cro-Magnon, ces
derniers à plus forte raison, vu leur activité artistique. Mais
il faudrait alors laisser dans l'animalité les Homo erectus manifestement
humains comme en témoignent les outils qu'ils ont laissés, bifaces
retouchés, outils sur éclats. Aujourd'hui tous les paléontologues
sont d'accord pour accorder avec certitude, le genre Homo, au moins à partir
d'Homo ergaster, d'apparition plus ancienne qu'Homo erectus.
|
| De
plus, dans l'optique catholique, doit exister une vaste unité du genre
humain du fait de l'existence d'un unique couple originel, Adam et Eve: le créationnisme
biblique est monogéniste. Ce monogénisme a participé
au modelage de notre mentalité collective et jusqu'à une période
récente la schématisation phylogénétique a été
marquée par le postulat de l'ancêtre commun. L'accumulation de fossiles
retrouvés a conduit à des représentations actuelles sans
doute plus conformes à la réalité. A la conception d'une
évolution linéaire, quoique ramifiée, succède aujourd'hui
une conception buissonnante. Bien que rien ne soit prouvé, la tendance
actuelle est plutôt au polygénisme. La science est en train
de se dégager du monogénisme biblique.
Si le polygénisme apparaît anti-biblique car atteignant l'unité
du genre humain, une autre discussion moderne menace la Bible également;
elle a trait au statut actuel des hommes de Néandertal par rapport aux
hommes modernes. [ voir
page "Deux espèces humaines" ]
Pie XII a traité de la question du monogénisme/polygénisme.
Dans l'encyclique "Humani Generis" (1950) il écrit :
« Mais quand il s'agit d'une autre vue conjecturale qu'on appelle le polygénisme,
les fils de l'Église ne jouissent plus du tout de la même liberté.
Les fidèles en effet ne peuvent pas adopter une théorie dont les
tenants affirment ou bien qu'après Adam il y a eu sur la terre de véritables
hommes qui ne descendaient pas de lui comme du premier père commun par
génération naturelle, ou bien qu'Adam désigne tout l'ensemble
des innombrables premiers pères »... En effet on ne voit absolument
pas comment pareille affirmation pourrait s'accorder avec ce que les sources de
la vérité révélée et les actes du magistère
de l'Eglise enseignent sur le péché originel, lequel procède
d'un péché réellement commis par une seule personne, Adam,
et qui transmis à tous par génération, se trouve en chacun
comme sien."
Pie XII a très bien vu le problème: si les scientifiques ont raison,
l'Eglise a tort, or en matière de doctrine elle est infaillible!
Si
l'homme n'a pas été voulu d'emblée parfaitement réussi,
placé dans les meilleures conditions terrestres pour exercer sa liberté,
le dogme du péché originel s'effondre, entraînant dans sa
chute, celui de la rédemption qui lui est intimement lié. C'est
donc le cur de l'édifice dogmatique qui s'écroule et ses promoteurs
deviennent alors des mystificateurs. Dès la publication du livre de
Darwin l'Église a bien sûr tout de suite repéré le
danger et a commencé par honnir ce fruit de la "fausse science",
la vraie étant celle qui est en accord avec les dogmes de l'Eglise. (Le
concile Vatican I est sans ambiguïté là-dessus)
Il est donc aisément compréhensible que l'Eglise ait commencé
par tirer à boulets rouges sur la théorie de l'évolution. (1)
Le livre de Chaline est digne d'intérêt mais le lecteur doit être
averti que ce chercheur a pris par ailleurs des positions qui débordent
le strict cadre scientifique. (2)
La lettre M signifie millions d'années (ex: -5M signifie "il y a 5
millions d'années") Bruno
Alexandre Documents
powerpoint sur l'Évolution (à télécharger ou ouvrir
directement) : [
La
Théorie de l'Évolution
] (taille 1,26 MB)
[
Les
Signes de l'Évolution ]
(taille 2,15 MB)
[
La
loi de Hardy-Weinberg et la Microévolution ]
(taille 195 KB)
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