Partie
IV LA
TENTATIVE MODERNE DE CONCILIATION AVERTISSEMENT
:
La deuxième moitié du XXème siècle a été
particulièrement riche en publications, portant entre autres sur le péché
originel. Les théologiens ont fait feu de tout bois pour essayer d'effacer
les contradictions foi / sciences. Dans le cadre de cette étude, il est
impossible de rendre compte des nuances des conceptions proposées. Je choisirai
simplement quelques exemples suffisamment différents pour faire ressortir
les propositions fondamentales. Séparer
la science et la foi Hors
Catéchisme officiel l'Eglise tient, ou laisse tenir, à l'usage des
catholiques cultivés, des considérations modernistes qui cherchent
à rendre non exclusives l'une de l'autre, la théorie de l'évolution
biologique et l'affirmation dogmatique de la création biblique. La
doctrine a bien changé! Nous avons vu que la science, il n'y a pas si longtemps,
devait être la servante de la théologie. Aujourd'hui la consigne
est de bien séparer science et foi, de les mettre à leurs vraies
places. Pour ce faire, nous explique le théologien jésuite B.
Sesboüe, il convient de faire la distinction entre origine et commencement.
Celui-ci est l'affaire de l'instituteur, celle-là, l'affaire du catéchiste. Cela
implique une dualité dans la connaissance: d'un côté la connaissance
scientifique, de l'autre, la connaissance de foi. "On pourrait dire, écrit
l'auteur, que le discours scientifique est celui de la causalité et le
discours de la foi, celui de la finalité. En jargon théologique,
la science s'occupe du comment avec les causes secondes, immanentes,
et la foi s'occupe, elle, du pourquoi, avec les causes premières
transcendantes. L'éminent Jésuite se demande alors si, sans
faire le grand écart, il est possible de concilier les positions scientifiques
de notre culture et l'enseignement religieux sur la création. L'optimisme
du théologien est certain: "Il n'y a aucun conflit de principe entre l'ordre
du comment et l'ordre du pourquoi.". Et il nous est même annoncé
que science et religion "doivent se rejoindre" quelque part, mais "le point de
jonction est au-delà de toute représentation et de ce fait nous
n'avons pas prise sur lui." Nous voilà bien avancé!… Cette
division des tâches peut apparaître louable mais la science aura nécessairement
son mot à dire si la foi, faisant état de données révélées,
propose des lumières sur la nature ne correspondant pas à la façon
dont les scientifiques nous disent qu'elle fonctionne. Il y a un exemple célèbre
avec le géocentrisme qui a été défendu par la foi
et l'héliocentrisme défendu par la science. Chacun sait que la foi
dut reculer et la reconnaissance de son erreur fut bien tardive! (Affaire Galilée). L'affaire
de l'apparition de l'homme rappelle un peu l'affaire Galilée sans pourtant
le jugement inquisitorial, (mais non sans mises à l'écart et excommunications)
tant il est vrai que l'impérialisme de la pensée catholique a perdu
de sa superbe devant les progrès de la raison scientifique. Comme
il y a eu pirouette du géocentrisme à l'héliocentrisme, nous
vivons la pirouette du fixisme au transformisme, pirouette partielle en fait,
car l'évolution n'est que partiellement acceptée. Néanmoins
de Pie IX à Jean Paul II l'Esprit saint inspirateur a sérieusement
revu sa copie pour que le dernier pape déclare: "…De
nouvelles connaissances conduisent à reconnaître dans la théorie
de l'évolution plus qu'une hypothèse. Il est en effet
remarquable que cette théorie se soit progressivement imposée à
l'esprit des chercheurs, à la suite d'une série de découvertes
faites dans diverses disciplines du savoir. La convergence, nullement recherchée
ou provoquée, des résultats de travaux menés indépendamment
les uns des autres, constitue par elle-même un argument significatif en
faveur de cette théorie." Le
livre de la Genèse est donc à relire totalement. Etudiant le problème
des origines de l'homme, un théologien J.M. Maldamé, membre de l'Académie
pontificale des sciences, en convient parfaitement:"…la lecture historicisante
du texte biblique est désormais impossible. L'interprétation ancienne
ne correspond pas aux faits. […] Toutes les tentatives de concordisme sont fausse
dès le principe. Les imposer au nom de la foi relève de la mauvaise
foi ". Dont acte! Alors par qui étaient donc
inspirés tous ceux qui pendant des siècles ont prôné
l'historicisme et le concordisme? On a envie de répondre: le diable! Constatons
ici que c'est la science qui bien que ne manipulant que les inférieures
"causes secondes" a fait reculer les tenants de la cause supérieure sur
leurs propres textes dont le dogme pourtant nous apprend qu'ils sont censés
être les seuls interprètes des vérités contenues dans
ces textes. La
relecture des textes de la Genèse Considérons
à présent la façon dont les nouveaux exégètes,
désormais instruits par la science, nous invitent à relire les textes
de la Genèse. Un petit historique s'impose qui montrera bien comment le
vent de l'Esprit inspirateur a tourné. La
Genèse fait partie du Pentateuque c'est-à-dire des cinq premiers
livres de la bible. La Tradition, d'ailleurs consignée dans le concile
de Trente, attribuait la paternité du pentateuque à Moïse
et nous avons dit plus haut qu'au début du XXème siécle,
l'Eglise hiérarchique en était resté là. Or, depuis
1578, date de la parution d'une "histoire critique du Vieux Testament", écrite
par Richard Simon, un prêtre oratorien, cela fut sérieusement mis
en doute. Ce livre, bien sûr, fit scandale et faillit faire trépasser
Bossuet! Depuis, les choses ont bien avancé. Dès le 18ème
siècle, le médecin Astruc, constatant que dans le Pentateuque, deux
noms (Yahvé ou Elohim) étaient donnés à Dieu, en conclut
à une pluralité d'auteurs. Le récit devait être une
compilation de documents différents. Une commission biblique du début
du 20ème siècle accepta cette théorie documentaire
à condition que l'authenticité mosaïque du Pentateuque ne soit
pas mise en doute.
Où en est-on aujourd'hui? Eh bien les spécialistes pensent que le
Pentateuque est une compilation tardive (début du 4ème
siècle av. J.C) de quatre sources marquées par des traditions différentes.
(Les travaux récents sont en train de remanier ce schéma). Pour
en rester au problème de la création dans la Genèse,
nous sommes en face de deux traditions: la tradition yahviste, la
plus ancienne (10ème-9ème siecle av J.C),
écrite dans le royaume du sud et émanant de vieilles traditions
orales et la tradition sacerdotale rédigée par un prêtre
de Jérusalem pendant la captivité à Babylone entre 580 et
538 av J.C. Les
diverses sciences d'étude des textes ont donc corrigé une inspiration
officielle mal placée. Pie IX, Léon XIII, Pie X et le concile de
Trente se trouvent reniés sur la question du pentateuque! Et aujourd'hui,
sans scrupules, l'Eglise tire un trait sur l'interprétation littérale
et historicisante qui lui avait fait distribuer des excommunications. Adorant
ce qu'elle honnissait hier, l'Eglise préconise maintenant toutes les techniques
modernes d'appréciation des textes. En 1993, le prestigieux Joseph Ratzinger,
président de la Congrégation de la doctrine pour
la foi, présentait à Jean-Paul II, un document issu de la commission
biblique pontificale et portant sur l'interprétation de la bible dans l'Eglise.
Le document est volumineux, plusieurs dizaines de pages. (Le texte intégral
peut être fourni sur demande). J'ai essayé d'en rendre compte par
un court "poème" intitulé "Commandements à l'exégète"
[
Lire
le Poème
] Ce
document restera certainement un chef d'œuvre sur les techniques d'interprétation
de la bible. Chef d'œuvre car la diversité des "attaques" du texte permettra,
sans l'ombre d'un doute, les aggiornamentos les plus osés; il est vrai
que cela devient urgent dans les domaines où le profane
menace le sacré. Très intelligemment l'Eglise va utiliser la science
pour lutter contre la science qui la menace!… La
bible est la parole de Dieu certes, mais exprimée par des hommes marqués
par un contexte socio-culturel donné qui n'a pas manqué d'influencer
leurs écrits. Il est ainsi bien pratique, pour la souplesse et l'évolution
des interprétations, que la bible soit, contrairement au coran, une œuvre
à la fois de Dieu et des hommes. La grosse affaire est donc, devant un
texte, de savoir ce que l'Esprit saint a vraiment voulu faire passer comme message
original par rapport aux cultures environnantes qui n'ont pas manqué de
parasiter la parole divine. L'art de l'exégète, muni désormais
des "commandements" de la commission biblique pontificale, est désormais
là, dégager le pur métal de la gangue. Il
est temps maintenant de voir les résultas de l'application de ces méthodes
à l'interprétation du livre de la Genèse. La
position du Cardinal Daniélou Ce
cardinal, (célèbre par sa théologie mais aussi par la façon
dont il est mort!…) veut tenter une interprétation actualisée sans
pourtant s'éloigner trop de la ligne traditionnelle., c'est la raison qui
me fait commencer par ses vues. Il
considère que les auteurs de la Genèse utilisent le langage et les
mythes de leur culture pour révéler les point fondamentaux du dessein
divin. En ce qui concerne le péché originel (qu'il nomme
aussi drame originel) il soutient que malgré la diversité des pérégrinations
théologiques à son sujet, une chose reste toutefois certaine: "Il
ne s'agit ni d'un mythe, ni d'une philosophie, mais d'un événement".
Le péché d'Adam est bien pour lui un événement originel,
mais sans doute fondamentalement inaccessible, car décrit par l'auteur
biblique, à partir de ses propres représentations et dans le souci
d'instruire ses contemporains. Adam
reste un homme singulier, le premier homme. Comment J. Daniélou
concilie-t-il alors Adam avec l.'évolutionnisme biologique? Tout d'abord
il fait remarquer que Gen 2 montre un homme "transcendant au monde de la nature
" puisque les animaux comparaissent devant lui, et c'est lui qui les nomme; ce
dernier fait indiquant dans la bible une nette supériorité. L'animal
est par essence différent de l'homme. La
Genèse marque donc des "discontinuités radicales" Animal/homme /Dieu.
La Genèse, par ce qu'elle a de révélée, met donc de
l'ordre par rapport aux autres conceptions où l'homme peut être apparenté
à l'animal ou déifié. Cette
conception ne peut être conciliable avec la théorie scientifique
de l'évolution biologique qui postule que l'homme est issu de l'animal,
suite à des transformations d'ordre biologique.. Dans ce cas en effet,
nul hiatus, nulle discontinuité entre animalité et humanité
puisque l'une dérive de l'autre. Daniélou repousse donc catégoriquement
la thèse scientifique sur une émergence de l'homme à partir
de l'animal. "Tout évolutionnisme matérialiste est métaphysiquement
absurde dit-il". "En aucune façon des processus matériels ne
peuvent avoir "créé" l'homme, dans sa dimension spirituelle. "La
biologie et la paléontologie n'ont rien à voir avec cela" ajoute-t-il.
L'esprit de l'homme ne peut être "le produit de l'évolution de la
vie." Se
référant à l'encyclique "humani generis", de Pie XII, J.
Daniélou semble cependant admettre qu'il peut y avoir une certaine continuité
entre animal et homme mais seulement sur le plan du corps matériel. La
conception de l'homme du cardinal Daniélou est la conception catholique
classique sur l'humanité; c'est une conception du "tout ou rien": on est
homme dans sa plénitude de vie ou on ne l'est pas, Il ne peut y avoir d'humanisation
progressive par évolution; cette dernière n'est accordée
que pour le biologique, le corps. L'homme spirituel nécessite l'intervention
de Dieu. L'Adam
préhistorique est donc une forme d'origine animale peut-être, mais
ayant reçu l'étincelle divine. Cela ne signifie pas qu'Adam fut
un savant accompli ayant les connaissances que nous avons aujourd'hui car écrit
Daniélou: "on trouve autant d'intelligence dans les peintures rupestres
des grottes du 6ème millénaire que dans les dernières
réalisations de l'art non figuratif.[..] Rien n'empêche de le reconnaître
(le premier homme) dans cet homme des cavernes aux outils rudimentaires,
mais qui cependant par son intelligence transcende infiniment le monde de la nature,
dont il est le roi, et en qui, par conséquent, nous reconnaissons déjà
l'image de Dieu." Dans
le cadre de cette pensée, un gros problème demeure: dans l'arbre
phylogénétique ayant conduit à l'homme actuel et remontant
à plus de 4 millions d'années, à quel niveau la volonté
de Dieu a-t-elle frappé, ayant fait immédiatement, de l'animal,
un animal homme?" J. Daniélou ne le dit pas. Le
paradis en Eden, à l'Orient, est à mettre en relation avec
les représentations anciennes proche-orientales. L'essentiel est de voir
que le paradis symbolise le lieu de la demeure de Dieu et non plus des dieux,
comme dans la mythologie ancienne. Dès
sa création l'homme est appelé à participer à la vie
de Dieu. Sa destinée (et non sa nature) a été programmée
surnaturelle , dès le début, mais, précise Daniélou,
il semble que l'homme n'ait "pas été pleinement vivifié par
la vie de Dieu", ayant fait des "blagues" avant d'avoir accès à
l'arbre de vie c'est à dire à la plénitude de la vie
en Dieu. Le
Père Daniélou nous met ensuite en face du problème du
mal, plutôt du mystère du mal. Il reconnaît un événement
originel mais la révélation par le biais du langage humain empêche
certainement notre esprit d'atteindre "un domaine inaccessible". Une proposition
reste énigmatique, celle que le mal soit «un monde spirituel créé
bon et déchu». Est
donné cette définition du péché originel: "C'est
la tentation pour l'homme de s'emparer, par ses propres forces, d'une puissance
divine, de faire son salut par lui-même. C'est donc essentiellement un refus
de reconnaître sa radicale dépendance et d'accepter de recevoir de
Dieu son salut comme un don gratuit." Cette prétention humaine, l'auteur
biblique du Xéme siècle av J.C., la présente par référence
à la magie comme aujourd'hui un auteur inspiré se référerait
à la "prétention de l'homme à faire son salut par lui-même,
par les moyens du progrès technique". Un
peu plus loin, J. Daniélou donne des précisions: "Le péché
originel comporte deux aspects: il désigne d'une part l'événement
historique qui, aux origines de l'humanité, dressa contre Dieu la liberté
de l'homme, et d'autre part un certain état de l'homme, caractérisé
par la mort spirituelle et la mortalité corporelle, qui est la conséquence
de cet événement.." Contrairement
à certains théologiens le Cardinal Daniélou ne veut pas dévaluer
le péché originel traditionnel: "minimiser la réalité
du péché originel, dans son origine historique, dans ses conséquences
pour la condition humaine, c'est en même temps détruire la signification
de la mort et de la résurrection du Christ." Les
nombreuses références du Nouveau Testament au récit du paradis
et de la chute montrent, pour J. Daniélou, que ce récit de la Genèse
doit être pris au sérieux: "s'il n'y avait pas eu le péché
originel, le Christ n'aurait pas eu à mourir." Il pense que si l'on minimise
le péché originel la rédemption l'est aussi
et alors "la foi est atteinte au cœur". C'est finalement le Nouveau Testament
qui donne son importance au premier péché. Je
termine en insistant sur la conception de l'homme du Cardinal Daniélou.
Cette conception ne peut être que celle de tout catholique mais le cardinal
a le mérite de ne pas la dissimuler. Sa franchise est à louer, laissons
le parler: "Un
homme à qui manque une de ses dimensions (l'adoration de Dieu) n'est pas
un homme" et aussi "le message premier est de rappeler qu'un homme sans Dieu n'est
plus digne du nom d'homme, qu'une société sans Dieu est une société
inhumaine." Si
on donne un sens large au blasphème ces propos ne sont-ils pas blasphématoires?
Ne mériteraient-ils pas une attaque en justice de la part de l'athée?!… Jean
Paul II raisonne de la même façon quand, parlant des théories
de l'évolution devant l'académie pontificale des sciences et considérant
qu'elles font émerger l'esprit de la matière comme un simple épiphénomène,
ils les déclarent "incompatibles avec la vérité de l'homme"
et "incapables de fonder la dignité de la personne". Le même Jean
Paul II, dans sa dernière encyclique, Foi et Raison, loue la philosophie,
précisant bien que le philosophe chrétien est "toujours guidé
par le supplément d'intelligence que lui donne la parole de Dieu" (§
104) La pensée catholique est effrayante et
scandaleuse par cette distinction d'une humanité croyante supérieure
et d'une humanité athée inférieure. Une vie humaine qui se
considère comme le résultat d'une simple évolution biologique
ne vaut pas celle qui prétend avoir une dimension divine. Tout cela au
nom du soit disant principe du respect de la dignité de la personne humaine
dont l'Eglise aujourd'hui se gargarise. Quelle imposture! Combien de morts, au
nom de la morale, ce cancer dogmatique n'a-t-il pas coûté! Voyez
l'histoire avec ses inquisitions et ses croisades….Paiens vous ne valez pas grand-chose! L'interprétation
du Père Grelot (de l'Institut catholique de Paris) Elle
est beaucoup plus hardie que celle de J. Daniélou. Dans
le cadre de l'hétérogénéité rédactionnelle
signalée plus haut, le Père grelot distingue le récit Yahviste,
le plus ancien (Gen 2:4 à 3:24) et le récit sacerdotal, le plus
récent (Gen 1:1 à 2:4). [
Lire
les textes ]
La science textuelle indique donc deux récits de la création qui
ont un support cosmologique différent. Le
Dieu créateur a un profil humain. "Ce n'est pas un procédé
naïf: il souligne le caractère personnel de Dieu". "le cosmos entier
est démythisé." et "Notre auteur (le Yahviste) ne remonte
pas au delà de l'époque néolithique" Il
est reconnu que "pendant des siècles….on a regardé Adam comme un
personnage historique au même titre que David ou Jésus." Mais aujourd'hui
la bonne méthode est de considérer la Genèse comme
allégorique, symbolique. les écrits bibliques doivent être
replacés dans leur contexte et il faut considérer le genre littéraire
dans lequel s'expriment les auteurs bibliques. Ces auteurs ne sont pas sans puiser
dans les cultures de leur environnement mais cela ne les empêche pas de
faire œuvre originale. Les traditions les plus prégnantes furent mésopotamiennes
(mythes sumériens, akkadiens , babyloniens). Ces traditions ont
fourni "des patrons littéraires qui expliquent en partie les deux présentations
bibliques de la période d'avant le déluge" . L'inspiration divine
a fait le reste. Tout en choisissant le langage mythique, les auteurs ont fait
œuvre de "démythisation" en excluant les dieux de la mythologie mésopotamienne
au profit d'un dieu unique créateur de tout. Les forces de la nature ne
sont plus déifiées. Tout cela, écrit P. Grelot, est "une
innovation sensationnelle" et témoigne d'une pensée "radicalement
neuve". "La
révélation a éliminé la mythologie, mais elle a couru
impunément le risque du langage mythique" qui est "une façon d'agencer
les symboles et les images pour traduire, sous forme de récits ou de drames,
certains aspects de l'expérience humaine ou des réalités
divines". Exit
donc la mauvaise mythologie mésopotamienne et bonjour le bon langage mythique… La
grande affaire est le changement de statut d'Adam. Il faut désormais
le considérer comme une figure éponyme. Comme Athéna
était déesse éponyme d'Athènes, Adam est l'homme éponyme
du genre humain, il représente l'humanité entière. Dans le
même ordre d'idée, d'autres théologiens font appel à
la notion de "personnalité corporative". Cette notion, nous dit
J. Arnould, exprime deux idées essentielles: "d'une part, un individu peut
être fonctionnellement identifié à une communauté;
d'autre part, malgré cette propriété corporative, il demeure
une personne individuelle." "Un
groupe, dit J. de Fraine, peut être considéré comme exerçant
son activité en un seul membre individuel, qui, à ce moment-là,
représente ce groupe si complètement, qu'il lui devient identique.
Grâce à une remarquable fluidité de pensée, on passe
très facilement de la communauté à l'individu qui la représente,
et de l'individu à la communauté, sans qu'il y ait une conscience
réfléchie d'une transition ". C'est
presque de la magie, suivant les besoins de la cause Adam sera un ou plusieurs;
très pratique, non?… "Le
couple prototype" Adam /Eve représente donc à la fois le 1er
couple et toute l'humanité (couple éponyme). Ainsi l'humanité,
du début à la fin est "sous le signe de l'inimitié et de
la lutte entre la race entière et le serpent. […]l'humanité, incluse
dans le couple prototype, qui représente à la fois sa généralité
et son origine, apparaît comme prisonnière du péché
et de la mort, dont le serpent personnifiait insidieusement la puissance. La liberté
humaine, dès son premier choix - choix résultant d'une décision
commune - a opté pour le malheur et la mort." "Quant
à l'unité du couple primitif, elle sert à présenter
l'unité du genre humain, avec sa solidarité de vocation et de destin".
L'image
de la côte dont est issue Eve viendrait de la symbolique sumérienne
mais "totalement démythisée" "Os
de mes os et chair de ma chair": Grelot en déduit une "égalité
de nature", L'arbre
de vie rappelle le mythe paradisiaque de la pensée sumérienne
qui indique en effet, dans le mythe d'Enki, un pays merveilleux (Dilmoun) localisé
du côté de l'Orient et où les lamentations, les maladies,
la vieillesse … sont inconnues et où le lion et le loup ne sont pas carnivores.
"Dans les mythes orientaux l'Arbre de vie correspond à la nourriture d'immortalité".
Cette symbolique est donc conservée dans la Genèse. "En
plaçant cette imagerie paradisiaque au début de l'histoire sainte,
le narrateur lui donne une sorte de valeur prophétique: le désir
du paradis n'est pas, pour l'homme, un rêve illusoire, mais l'obscur pressentiment
du bonheur pour lequel Dieu l'a créé. " L'Arbre
de la connaissance du bien et du mal symbolise le drame du choix. Le mal est
simplement constaté comme un fait. Le serpent résume toute sa symbolique
(cet animal existe dans les mythologies anciennes avec toutefois des significations
différentes mais il est ravissseur de la plante de vie dans l'épopée
sumérienne de Gilgamesh). Ce
qui apparaît de spécifiquement biblique c'est la relation Dieu/homme
sur le mode du dialogue personnel dont Dieu est l'initiateur Pour
Grelot la Genèse affirme l'unité humaine sans donner de lumière
"sur les modalités de sa réalisation originelle". Cette unité
pouvant après tout être biologique (monogénisme), ou
sociale c'est à dire, à la limite "unité de convergence résultant
du regroupement opéré entre plusieurs groupes de mutants" (polyphylétisme)
et le tour est joué, Adam pourra être plus facilement concilié
avec la science des origines de l'homme Comme
le récit des commencements, Adam a finalement une fonction théologique
qui veut indiquer "le sens de ce début et sa relation à la situation
où nous sommes nous-mêmes". Quel que soit le mécanisme de
naissance de l'humain l'essentiel est que Dieu reste Créateur. La
conclusion est qu'il ne faut pas chercher dans le langage mythique de la genèse
un "concordisme" ni avec l'histoire ni avec la paléontologie. Mais
que devient alors le péché originel avec cette acception nouvelle
d'Adam? La
conception habituelle conduit à "ce résultat aberrant (!):
nous héritons par voie de génération, de la culpabilité
encourue par le premier homme! Et l'on se demande alors ce qui se serait passé
si ce premier homme n'avait pas péché…"
Ainsi est jugé "aberrant" l'enseignement séculaire de l'Eglise!
On se demande où planait l'esprit qui l'inspirait! P.
Grelot continue sur le même ton: "Rêver d'une vie sans problème
dans une terre paradisiaque relève d'illusions infantiles dont beaucoup
d'adultes ont quelque peine à se défaire." Voilà
maintenant que le clerc fait le travail critique à la place de l'athée
qui ajoutera simplement que L'infantilisme a duré bien longtemps!… Selon
Grelot le péché originel désigne notre condition pécheresse
(Dieu n'a même pas été capable d'insufflé le terme
adéquat à ses représentants!) Le mot péché
signifie "notre condition pécheresse,[…] exactement ceci: Notre condition
native ne comporte pas en elle-même, l'amitié avec Dieu et la participation
à sa vie; seule la grâce du Christ peut nous les assurer" Donc Dieu
nous a créé dans un état d'inimitié avec lui, prévoyant
en même temps, que la grâce du Christ pourra le transformer en amitié
(cela s'appelle faire une création tordue!) Le
péché d'Adam est le péché des origines c'est à
dire " l'événement originaire par lequel s'est inaugurée
l'histoire de notre race pécheresse". Ce
qui est, a été donc dès l'avènement de l'homme et
Grelot de s'nterroger: " l"avènement de l'homme avec l'avènement
de la liberté, n'a-t-il pas constitué, par lui-même, une épreuve
de choix qui s'est soldé par un échec? C'est le péché
des origines (ou d'Adam) qu'évoque la Genèse sous la forme d'un
récit symbolique qui laisse la réalité concrète à
son mystère".
Avec le mystère nous voilà bien soulagé! Cette
façon de voir le péché originel s'éloigne assez radicalement
de l'enseignement séculaire de l'Eglise, en effet Si Adam représente
l'ensemble des hommes , on assiste à un véritable étalement
du péché originel dans le temps. Il devient à l'origine de
chaque vie humaine, il devient donc le péché actuel. Le péché
d'Adam n'est plus qu' "inaugural". Bref la notion doctrinale de "péché
originel" se dissout totalement! Les conceptions modernes apparaissent donc en
fait hérétiques! En d'autres temps elles eussent mérité
le bûcher!
Et qu'on ne dise pas
que ces propos sont excessifs , la profession de foi orthodoxe par exemple, celle
du pape Paul VI est en effet très claire; il s'exprimait ainsi, s'inspirant
du Concile de Trente: "
Nous croyons qu'en Adam tous ont péché, ce qui signifie que la faute
originelle commise par lui a fait tomber la nature humaine, commune à tous
les hommes , dans un état où ellle porte les conséquences
de cette faute et qui n'est pas celui où elle se trouvait d'abord dans
nos premiers parents, constitués dans la sainteté et la justice,
et où l'homme ne connaissait ni le mal ni la mort. […] Nous tenons donc,
avec la concile de Trente, que le péché originel est transmis avec
la nature humaine, "non par imitation mais par propagation," et qu'il est ainsi
"propre à chacun". (30 Juin 1968) Il
en faudrait plus pour décourager les théologiens dont certains s'attèlent
à montrer que la nouvelle conception d'Adam n'est pas fondamentalement
en contradiction avec le dogme classique solennellement défini au concile
de Trente. Nous prendrons comme tentative de conciliation, celle de Jacques
Bur. Les
propositions de Jacques Bur L'unicité
du plan divin, Adam et le monogénisme Jacques
Bur reconnaît que la conception traditionnelle du péché
originel est obsolète et qu'il est indispensable de la réviser vu
les progrès scientifiques et ceux de l'exégèse biblique,
mais "cette révision devra évidemment sauvegarder scrupuleusement
la substance du dogme". Il annonce d'emblée la fausseté du dyptique
péché originel / rédemption c'est à dire la supposition
de deux plans dans le dessein de Dieu: - première
humanité prévue comme pouvant être divinisée sans l'intervention
rédemptrice du Christ.
- la
rédemption par le Christ rendue nécessaire par la faute originelle,
celle-ci conditionnant donc étroitement celle-là.
Il
milite pour l'unicité du dessein divin: "l'humanité est voulue
par Dieu de toute éternité en vue du Christ, l'unique récapitulateur
en lui de toute la création." Voilà le Christ récapitulateur
plutôt que rédempteur! La
doctrine officielle est rappelée et J. Bur souligne que le terme de péché
est mal choisi, car le péché originel chez le nouveau né
n'est pas le péché habituel personnel. Le péché originel
est transmis "par propagation et non par imitation". Cela a été
clairement confirmé par le Concile de Trente ( 1545 - 1563) contre les
pélagiens qui soutenaient que la responsabilité d'Adam était
de donner le mauvais exemple à ses descendants enclins à l'imiter. A
propos des origines de l'humanité pécheresse J. Bur se décharge
des problèmes scientifiques en posant que l'hominisation au sens
théologique ne peut recouvrir l'hominisation au sens biologique: "le ou
les premiers hommes envisagés par les paléontologues n'ont pu être
le ou les premiers hommes envisagés par la révélation biblique.
Bien des générations humaines ont dû passer avant que l'humanité
ne devienne capable de commettre un acte vraiment peccamineux tel qu'il est décrit
symboliquement dans le récit de la Genèse." En
toute rigueur il faut bien qu'il y ait eu un commencement à la spiritualité
humaine capable de distinguer le bien du mal et c'est là que le bât
blesse, les données paléontologiques ne pouvant s'accorder avec
l'existence d'un temps T marquant un avant strictement animal et un après
strictement humain. Les caractéristiques des progrès
biologiques, capacité cérébrale en particulier et celles
des cultures correspondantes militent, malgré des à-coups, pour
un continuum biologique et spirituel; Il n'y a pas dans le progrès culturel
de rupture brusque qui ferait penser, à un moment donné, à
une intervention divine immédiatement humanisante. Jacques
Bur détruit l'image d'une condition adamique antérieure au péché
marquée, dans des conditions paradisiaques, par une haute spiritualité
avec des attributs de liberté et responsabilté à leur plus
haut niveau. Il écrit en effet:" il ne faut pas gonfler la faute d'Adam,
qui n'a pu être que le péché d'un homme primitif, encore fragile
et faible, dont la conscience morale, si elle était déjà
capable d'une libre option, était fort peu évoluée".
Concession de taille à la paléontologie! Le
revers de cela pour le coyant, c'est un amoindrissement de la puissance de Dieu
qui devient en quelque sorte tributaire des lenteurs de l'évolution et
de ses imperfections commençantes. Et d'ailleurs, dans cette optique le
péché d'Adam perd son originalité dogmatique car, de l'aveu
de l'auteur, il n'y a plus lieu de l'isoler "d'une succession de chutes qui ont
intensifié la première." Comme
P. Grelot, J. Bur fait valoir qu'Adam est un terme générique signifiant
l'homme en général et que les auteurs bibliques utilisent le procédé
de l'éponymie. Donc "Adam représente, dès son origine,
toute l'humanité créée par Dieu pour une même destinée,
à l'intérieur d'un unique dessein de salut. On ne peut donc pas
s'appuyer sur Gen1-3 pour affirmer le monogénisme qui n'est par
ailleurs, nulle part dans la bible, affirmé pour lui-même". Pourtant
quelques lignes auparavant l'auteur écrit que "cette représentation
monogéniste, qui est celle de la Genèse, allait de soi et ne pouvait
qu'être admise par tous en un temps où on ignorait les découvertes
de la paléontologie". C'est soulignons-le bien ,
faire grand cas de la science et bien peu de l'inspiration que d'accorder à
la paléontologie le pouvoir de changer une représentation unanime.
La paléontologie est donc meilleure inspiratrice que le souffle de Dieu
sur les rédacteurs bibliques ou les pères réunis en concile!
Toute
l'activité théologique consiste donc maintenant à tordre
les textes scripturaires rebelles aux avancées scientifiques. Cette tentative
apparaît bien périlleuse tellement il est clair que le NT vient plutôt
renforcer la singularité d'Adam . (Cf St Paul dans Rom 5: 12 à 21
et 1Cor 15: 21-22 et 45-49 )
[ Lire
ces textes ]
"On a longtemps pensé,
écrit J. Bur, que le texte de saint Paul nous obligeait à faire
une lecture historicisante du récit de Gen 1-3". Bien évidemment
car nous avons là l'exemple de textes d'une grande limpidité, interprétés
comme révélés, dans leur sens premier, jusqu'à la
naissance de l'évolutionnisme et voilà
que cette théorie scientifique, ridiculisée, au début, par
les autorités ecclésiastiques, fait vaciller la prétendue
révélation. Si la révélation
fluctue comme les sciences, ce n'est plus une révélation et les
écrits bibliques deviennent alors comme les autres, de simples écrits
humains, sous inspiration sans doute, mais inspiration humaine! En poussant la
critique jusqu'au bout, l'actualisation dogmatique, dans le but de ne pas être
en contradiction avec la science, ne sera jamais terminée,
comme la science,
alors on ne pourra jamais dire à une époque donnée
que tel dogme concerne une vérité précise, intangible, ce
qui est contradictoire.
Il est vrai que Jean XXIII a dit "Autre est le dépôt lui-même
de la foi, autre est la forme sous laquelle les vérités sont énoncées,
en leur conservant toutefois le même sens et la même portée."
Le fidèle humblement soumis ne peut même pas se raccrocher à
cette déclaration, tant il est évident que passer du singulier au
pluriel pour Adam, change justement le sens! Avec l'actualisation
du dogme du péché originel nous sommes devant une monstrueuse entreprise
mystificatrice. Pour ne pas perdre la face on gardera le libellé mais il
recouvrira un contenu radicalement différent! Il
est un peu affligeant que le théologien écrive que "Paul […] s'est
référé simplement au récit du premier péché
d'Adam, tel qu'il était connu de tous, sans prétendre apporter un
enseignement nouveau sur l'origine de l'humanité". Il est bien sûr
évident que Paul ne pouvait prétendre autre chose que ce qu'il dit
puisque le consensus était total! Le texte de la Genèse ne pouvait
qu'avoir dit vrai, sous l'impulsion de l'Esprit Saint. Paul raisonnait sur des
données pour lui indiscutables car révélées! Il
est tout aussi affligeant d'ajouter que "Saint Paul avait cette représentation
monogéniste de l'humanité, mais, pas plus que les auteurs de Gen
1-3 il n'a voulu en faire l'objet de son enseignement doctrinal." C'est a posteriori
que ce non désir doctrinal lui est attribué! La représentation
traditionnelle d'Adam qu'il utilise lui permet justement de valoriser l'unicité
du Christ rédempteur. Adam ne pouvait être, dans son esprit, une
"représentation littéraire", c'était tout bonnement la réalité
même. L'enseignement doctrinal est venu après lui. Parlant sous inspiration
il exposait le fondement du futur enseignement doctrinal de l'Eglise catholique,
fondement que cette Eglise veut remettre en cause après
l'avoir enseigné pendant des siècles! Ainsi, démentie par
la science, l'Eglise reconnaît que sa représentation adamique était
fausse et pour s'en excuser elle en vient à dire que ce qu'a dit Paul,
il ne l'a pas vraiment dit mais qu'il s'est servi d'une "représentation
littéraire"! A ce tarif plus aucun texte n'a de signification précise
si on peut ainsi infléchir au cours de l'histoire, et à un tel degré,
son sens. De
toute façon, si Adam représente tout homme, la notion de péché
originel ne peut plus être soutenue car le péché originel
serait ramené à tout premier péché de tout homme alors
que le dogme impose une spécificité du péché originel
qui le désolidarise du péché ordinaire puisque même
l'enfant hérite de ce péché bien que n'ayant pas commis de
péché personnel. Sauver
le Concile de Trente Le
plus difficile est effectivement de concilier la nouvelle conception avec les
décisions du concile de Trente. J. Bur écrit que le concile " n'a
pas voulu…définir dogmatiquement le monogénisme, dont la
question ne se posait pas." Si la question ne se posait pas, le concile n'a donc
tout simplement rien voulu du tout à ce sujet! Il ajoute que la doctrine
du péché originel "n'impliquait pas le monogénisme, même
s'il (le concile) a formulé cette doctrine dans un cadre de représentation
monogéniste." Singulier raisonnement! Si les Pères se sont exprimés,
sous inspiration, dans le cadre de cette représentation, elle ne peut être
qu'une vérité de la Révélation. Le texte du concile
est d'ailleurs d'une étonnante limpidité
[
Lire
le Concile des Trente
]
et seul un raisonnement
de sophiste peut prétendre en modifier la signification. Ce n'est qu' a
posteriori que J. Bur peut écrire que "les Pères ont utilisé
la représentation commune "sans prétendre apporter une précision
nouvelle à ce texte ( texte de Gen 1-3)" Il était acquis en effet
depuis toujours qu'Adam était le premier homme. J.
Bur veut (rien que cela!) que le concile de Trente soit désormais interprété,
comme il le prônait pour les textes pauliniens, dans le sens qui s'accorderait
avec la représentation moderne d'Adam En somme on
veut implicitement faire dire au concile ce qu'il n'a jamais prétendu dire,
rendant ainsi, abscons a posteriori, ce qui avait été clairement
exprimé en son temps! A ce compte il paraît facile de conserver le
dogme mais en fait sa permanence sera une apparence trompeuse. Le nouveau concept
d'Adam, changeant le fond et la portée du dogme traditionnel, ce dernier
se trouvera en fait renié! L'entreprise théologique est donc ici
objectivement une entreprise de tromperie. J.
Bur, toujours soucieux donc de minimiser le décret du concile sur le péché
originel fait remarquer qu'il ne fut qu'un préambule à la doctrine
de la justification par le Christ afin d'écarter deux erreurs:
- l'erreur
pélagienne soutenant que le péché originel est acquis par
imitation.
- l'erreur
luthérienne contestant que le péché originel soit totalement
effacé par le baptême et que la concupiscence qui reste après
le baptême ne soit pas un péché.
Et
le théologien d'insister encore sur son raisonnement a posteriori que "
l'intention doctrinale de ce décret… ne portait donc pas sur l'historicité
de la personne d'Adam comme premier père de l'humanité pécheresse".
Nous ne pouvons qu'inviter le lecteur à lire et relire le texte du décret,
[
Lire
le Concile des Trente
]
d'une limpidité
absolue. Justement, le "chapeau " de ce décret veut se "débarasser"
des erreurs ambiantes, "ramener ceux qui errent" et "affermir ceux qui vacillent"
et aussitôt vient le premier canon: "Si
quelqu'un ne confesse pas que le premier homme, Adam, après
avoir transgressé le commandement de Dieu dans le paradis, a immédiatement
perdu la sainteté et la justice dans lesquelles il avait été
établi et a encouru, par l'offense que constituait cette prévarication,
la colère et l'indignation de Dieu et, par suite, la mort dont il avait
été auparavant menacé par Dieu, et avec la mort la captivité
sous le pouvoir de celui qui ensuite a eu l'empire de la mort, c'est-à-dire
du diable ' ; et que par l'offense que constituait cette prévarication
Adam tout entier dans son corps et dans son âme a été changé
en un état pire : qu'il soit anathème." Dans
le canon 2 on relève l'expression "lui seul" et la référence
à Rom 5:12: ": Par un seul homme, le péché est entré
dans le monde, et par le péché, la mort ; et ainsi la mort a passé
dans tous les hommes, tous ayant péché en lui". Le
canon 3 qualifie le péché originel "d'un par son origine
et transmis par propagation et non par imitation" Le
canon 4 se réfère encore à Rom 5:12. Si
après tout cela on doute de l'identité d'Adam comme premier homme,
premier pécheur et transmetteur d'un état de manque de sainteté
et de justice, alors on tombe sous le coup de l'anathème. J. Bur mérite
l'anathème! Cela ne l'effraie pas trop car il s'entête et discute
dans une longue note l'expression "un par son origine" et la modalité de
transmission. Sa
conclusion est que "Le péché originel en nous est donc propre et
intérieur à chacun de nous. Mais le Concile ne s'est pas prononcé
sur le point de savoir si cette même et unique source du péché
originel contracté par chacun de nous se trouve dans un unique péché
individuel qui, aux origines, aurait fait de l'humanité une humanité
pécheresse". On retrouve ici le même style de raisonnement a posteriori
dans le but de minimiser en fait le concile qui indique bien (canon 2) que la
prévarication d'Adam a nui à sa descendance et l'a privé
"de la sainteté et de la justice reçues de Dieu.". Quant
à la transmission du péché originel elle ne peut être
assimilée à une génération biologique. Comment se
fait-elle alors? Par "propagation" et le concile est muet sur le mécanisme
de cette propagation! Quelque chose qui se propage est quelque chose qui passe
d'un lieu à un autre en restant identique à lui même. Le concile
reconnaît (canon 2) qu'il y a transmission "de la mort et des punitions
du corps". Ces transmissions concernant le corps sont donc nécessairement
biologiques! Reste
"le péché, qui est la mort de l'âme" qui aussi est transmis.
Comment alors? Puisqu'il s'agit d'âme, le mécanisme ne peut être
biologique; il ne peut être que spirituel et cela doit se passer au moment
de la conception des individus. La prévarication d'Adam impliquerait donc
une âme "viciée" pour sa descendance. Au total il peut ainsi y avoir
propagation du péché originel et ce dernier, par la dimension spirituelle
de l'âme peut être "propre à chacun" (canon3). Contrairement
à ce que pense J. Bur il est clair que les actes du concile de Trente rendent
Adam responsable de toute l'humanité pécheresse et il est faux de
dire qu'Adam n'a pas été défini. Il a été défini
comme "le premier homme" (canon 1), et contester la signification de cette
expression est de mauvaise foi. Il ressort de plus clairement de ce concile que
nous tenons notre inclination au mal de la prévarication d'Adam sinon il
n'y aurait pas unité d'origine comme l'annonce le canon3. Le concile de
Trente est sans discussion possible monogéniste. Alors quand les théologiens
modernistes veulent qu'Adam représente l'homme en général,
toute l'humanité, il viole le concile de Trente et l'enseignement traditionnel
de leur Eglise. Dans cette optique il n'y a plus unité mais pluralité
d'origine du P O car il se répète pour chaque homme qui naît
et le dernier sera équivalent au premier indépendamment de la descendance.
Bref le dogme, par définition intangible en son cœur, est ici dénaturé.
Si pour s'accorder à la science le dogme doit être renié,
la démonstration est faite de la non inspiration de L'Eglise. Les conciles
ne sont que des assemblées d'hommes! Point d'Esprit saint qui suscite les
bons décrets et "la religion vraie" tombe de son piédestal!… L'obscurité
du Concile de Trente porte sur le mécanisme de propagation. Que dit le
Catéchisme officiel? Il soutient qu'Adam et Eve commettent un péché
personnel qui "affecte la nature humaine qu'ils vont transmettre dans un état
déchu". Il y aura propagation "d'une nature humaine privée de la
sainteté et de la justice originelle". Le péché originel
est appelé ainsi par analogie: "c'est un péché contracté
et non pas commis, un état et non pas un acte."(§
404) La notion de nature humaine inclut les dimensions biologiques et spirituelles
et le Catéchisme n'explique pas mieux que le concile de Trente la transmission
de cette nature déchue. L'aveu est que "la transmission du péché
originel est un mystère". (§404).
L'appel au mystère est bien commode! Il a en tout cas l'avantage de clore
la discussion. C'est, pour les questions épineuses, souvent le dernier
mot de l'homme de foi à l'homme de raison, comme par exemple dans le cas
du problème du mal. La
modernisation de tous les concepts traditionnels Il
reste à préciser ce qui nous est proposé dans le cadre de
l'interprétation figurative d'Adam qui ne sera donc plus premier homme
ni premier pécheur mais représentera l'humanité solidairement
pécheresse depuis les origines. L'économie divine devrait s'en
trouver modifiée. La
notion de commencement du péché de toute l'humanité dite
libre, appelé péché du monde est conservée. Ce péché
du monde a été inauguré par le péché
des origines que l'on doit nommer péché originel. Le péché
d'Adam est ainsi considéré comme le prototype du péché
du monde. A partir du péché des origines, le péché
du monde s'est universellement développé. Adam correspond ainsi
à l'humanité pécheresse, du commencement jusqu'à
la fin de l'histoire. J.
Bur s'efforce ensuite de montrer que cette conception peut s'accorder avec le
concile de Trente: "Le péché originel à notre naissance ("un
par son origine " dit le concile de Trente) a bien en chacun de nous une origine
unique, une même source, celle du péché d'Adam considéré
non pas seulement comme un premier péché commis aux origines, mais
aussi comme incluant réellement tous les péchés personnels
commis par tous les hommes à travers toute l'histoire d'une humanité
responsable de sa situation pécheresse." Dans
ces conditions il n'est plus possible de faire de distinction entre péché
originel et péché personnel, entre péché originel
et péché du monde, ce qui est proprement hérétique! J
Bur poursuit:: "C'est le péché du monde considéré
en la totalité des péchés de la multitude et non pas seulement
le péché d'un premier pécheur, qui est, pour chacun de nous,
la même cause originelle de la situation pécheresse en laquelle nous
naissons. Le péché du monde est la cause originelle du péché
originel qui, en chacun de nous, caractérise notre condition native en
tant qu'elle ne comporte pas en elle-même la participation à la vie
amicale avec Dieu." Tout
s'obscurcit désormais; nous voilà dans une inversion incompréhensible
faisant dépendre le péché originel du péché
du monde! La notion de transmission par propagation disparaît. Il n'y a,
indépendamment de toute chronologie que de êtres humains qui côte
à côte, inaugurent leur activité pécheresse. On ne
voit vraiment pas comment cette conception peut se raccorder à celle du
concile de Trente! D'ailleurs dans le chapitre 6 de son livre (Le péché
originel – Ed. du Cerf) le théologien devient particulièrement
obscur et aligne des pétitions de principes car il dépasse l'extensibilité
des textes autorisée par la logique. S'il
n'y a plus de couple initial, il reste que le péché a eu un commencement,
"au début de l'histoire de l'humanité libre" […] "dès lors
qu'aux origines l'homme a été capable d'option spirituelle, consciente
et libre". On voit la difficulté d'accorder cela avec ce que la science
enseigne sur l'évolution humaine. Toutes les formes anciennes ont eu leur
conscience et leur liberté et on aimerait bien que le théologien
nous dise à quel degré d'évolution Dieu a fait des propositions
demandant une "option spirituelle". Ce moment devrait coïncider avec ce que
Jean Paul II nomme "un saut ontologique" établissant "une différence
d'ordre ontologique" avec l'animal. Mais le pape est évasif sur le repérage
de ce saut à propos duquel il s'exprime ainsi: "Les
sciences de l'observation décrivent et mesurent avec toujours plus de précisions
les multiples manifestations de la vie et les inscrivent sur la ligne du temps.
Le moment du passage au spirituel n'est pas objet d'une observation de ce type,
qui peut néanmoins déceler, au niveau expérimental, une série
de signes très précieux de la spécificité de l'être
humain. Mais l'expérience du savoir métaphysique, de la conscience
de soi et de sa réflexivité, celle de la conscience
morale, celle de la liberté, ou encore l'expérience esthétique
et religieuse, sont du ressort de l'analyse et de la réflexion philosophiques,
alors que la théologie en dégage le sens ultime selon les desseins
du Créateur." Pour l'instant en tout cas la philosophie et la théologie
catholiques restent muettes sur ce "moment du passage au spirituel" D'ailleurs
le péché du commencement est minimisé nous dit-on par le
fait que l'Ancien Testament connaît bien d'autres péchés que
les ascendants transmettent à leurs descendants et qu'il relate donc "une
succession de chutes", et il est aussi noté que Jésus ne parle jamais
aux juifs de leur père Adam. Certes! Mais il ne faudrait
pas oublier l' apôtre Paul dont les écrits lumineux dénotent
l'importance d'Adam, ce qu'a d'ailleurs souligné, comme nous l'avons vu,
le Cardinal Daniélou. Aux
yeux du théologien, le fait que " le monde entier gît au pouvoir
du Mauvais" (Jn 5: 19) amoindrirait également le péché d'Adam
qui à lui seul ne peut nous avoir valu "un si grand et si beau rédempteur". L'objectif
actuel est donc de dégonfler l'affaire Adam et de valoriser l'incarnation
du Christ considérée comme centrale et n'étant plus nécessairement
liée au péché originel malgré pourtant des siècles
d'enseignement thomiste. C'est
dès l'origine, insiste-t-on, que l'humanité a été
appelée à être divinisée par la médiation du
Christ. Christ est médiateur avant d'être rédempteur. C'est
pour le besoin présent que la théologie substitue au schéma
classique une vision de l'histoire obligatoirement centrée sur le nécessaire
sacrifice du Christ pour que l'humanité puisse atteindre la divinisation. Dans
tout cela, il est clair que la théologie cherche à sauver l'Eglise
devant la science en minorant le rôle d'Adam. Et en s'éloignant de
la voie thomiste, pour désolidariser le couple péché originel
/rédemption, elle veut aussi "sauver" le Christ, dont les fidèles
risqueraient de moins voir l'importance, si le péché originel tombait
en désuétude. L'acceptation
de cette théologie moderne conduit à dire que tout se passe donc
comme si le plan de Dieu était d'avoir voulu une humanité évoluant
péniblement vers l'exercice de la liberté et de la responsabilité
et s'avérant, uniquement livrée à elle même, fondamentalement
pécheresse. et ne pouvant être conduite à la perfection que
par le Christ Comment
alors ne pas accuser Dieu d'avoir toléré une si médiocre
création! Prévoir une surabondance de grâce par le Christ
n'excuse pas un tel diktat du péché! Dieu a en quelque sorte accepté
de créer avec les péchés prévisibles, sachant que
le Christ en serait le correcteur. De ce fait Dieu est objectivement complice
du péché du monde. La meilleure solution eût été
une immédiate création dans l'état de perfection qui nous
est actuellement promis seulement à la fin de l'histoire, où alors
l'abstention pure et simple si la création devait être nécessairement
imparfaite et donc tant scandaleusement marquée par les souffrances et
les larmes. Un
autre changement de représentation obligatoirement lié à
la nouvelle conception du péché originel, est celui du paradis.
Ce n'est plus le lieu enchanteur des catéchismes d'antan où furent
placés nos premiers parents, mais "la préfiguration symbolique du
paradis céleste. Il est comme la première annonce de la vie éternelle
et bienheureuse que Dieu, dès les origines, a promise à l'homme
en le créant." Une remarque en passant, pourquoi
n'a-t-il pas voulu dès le commencement cette vie bienheureuse?. Des
conditions paradisiaques, il n'est retenu que le minimum pour ne pas être
en contradiction avec le concile de Trente: la sainteté et la justice originelles. Selon
l'optique actuelle l'homme a donc moins été créé dans
un paradis qu'avec "une vocation paradisiaque." Il faut voir le paradis
dans la perfection "d'un dynamisme eschatologique" et non plus celle d'une antécédence
historique". Bref le paradis d'avant est devenu le paradis
d'après!! L'absence
de concupiscence dans l'état de sainteté originelle est même
remise en doute; elle serait "inhérente à notre nature humaine créée."
Le péché originel n'aurait fait qu'en augmenter la pesanteur. La
mort corporelle comme conséquence du péché est aussi
mise en doute. La nature humaine primitive aurait été mortelle.
Le péché a simplement rendu la mort, tragique, car elle devint rupture
avec Dieu. On
veut surtout voir dans la mort, son sens spirituel. Il est affirmé que
les textes bibliques ne laissent jamais entendre que l'homme créé
aurait pu ne pas connaître la mort. Les
théologiens. s'accordent bien des libéralités au regard des
textes officiels!
Le concile de Trente, d'abord, distingue en effet nettement les deux sortes de
morts: "Si
quelqu'un affirme… qu'il (Adam) n'a transmis que la mort et les punitions du
corps à tout le genre humain, mais non pas le péché,
qui est la mort de l'âme : qu'il soit anathème…" Cette phrase signifie
qu' a été transmise, non seulement la mort du corps, mais en plus,
la mort de l'âme. Le
catéchisme, ensuite, où nous lisons:"Enfin, la conséquence
explicitement annoncée pour le cas de la désobéissance
se réalisera: l'homme retournera à la poussière de laquelle
il est formé. La mort fait son entrée dans l'histoire de l'humanité."
(§ 400) Il
faut s'être départi du désir d'objectivité pour écrire:
"Le concile de Trente n'a en tout cas aucunement eu l'intention d'enseigner que
la mort biologique serait, en tant que telle, conséquence du péché,
en sorte que si l'homme n'avait pas péché, il n'aurait pas dû
passer par la mort pour entrer dans le royaume transhistorique de Dieu." *
* * Bien
que J. Bur pense le contraire, les nouvelles conceptions impliquent davantage
Dieu dans le mal de ce monde. Selon lui, même sans péché
il y aurait eu souffrance liée à la finitude de notre nature. Tant
que nous ne sommes pas "achevés en Dieu" il est naturel que nous souffrions.
Le mal est "inhérent à notre vie humaine temporelle." Il est clair
alors, dans cette optique, que Dieu a toléré, sinon voulu, le
mal. Nous n'avons pas été créés parfaits (ancienne
conception) mais créés pour la perfection. "Dans cette perspective
historique qui est celle d'un monde et d'une humanité qui doivent se construire
progressivement, nous comprenons que la perfection à laquelle nous aspirons
et pour laquelle nous avons été créés dès les
origines ne puisse être située qu'au terme de notre histoire et qu'en
l'attente de cet ultime achèvement , nous ayons, dans l'épreuve
actuelle du temps, à souffrir de bien des maux qui sont inhérents
à un monde en voie d'évolution et à une humanité en
voie de développement". On reconnaît ici l'influence de Teilhard
de Chardin. Dans une perspective évolutive le mal serait naturel en quelque
sorte et n'aurait rien d'aliénant. Le péché ne ferait qu'ajouter
au mal normal, un mal anormal, résultant du conflit le plus profond,
celui de "l'opposition de notre volonté d'autosuffisance à l'amour
de Dieu". Voilà,
sans pudeur, un joyeux tour de passe passe! Comme si le mal, même un jour
surmonté, pouvait être compatible avec l'immense puissance et bonté
de Dieu ! Comment
raisonnablement croire, hommes de foi, qu'un être infiniment parfait et
bienheureux en lui-même, tout puissant dans sa volonté de créer
gratuitement, par pure sagesse et pur amour, ait pu vouloir un dessein évolutif
aussi pervers! Bruno
Alexandre Documents
annexes auxquels ce chapitre se réfère : [
Le
Concile des Trente ]
[
Genèse,
chapitres 1 à 3 ]
[
Extraits
de Romains et Corinthiens ]
[
Poème
Commandements à l'Exégète ] |