Enfance
maltraitée
....
Mais, dans le même temps,
qu'observe-t-on ? Que la justice des mineurs reste - selon l'adage
- une justice mineure, à laquelle manquent, pour le moins, cent
cinquante magistrats et soixante-quinze greffiers. Et que les sommes supplémentaires
nécessaires au fonctionnement normal de ce type très singulier
de justice - chargée à la fois de protéger et de
punir les mineurs - ne représentent que 1 % de ce que les
départements consacrent à l'aide sociale à l'enfance
- soit environ 300 millions de francs. A l'heure actuelle, ceux-ci n'ont
pu être dégagés.Souffrances psychiques
Qu'observe-t-on
encore ? Qu'en ces temps de médecine ultratechnique, un enfant,
un adolescent, violé, abusé sexuellement, battu, suicidaire,
fugueur, peut n'être pris en charge par un psychothérapeute
qu'au bout de six mois, après inscription sur une liste d'attente.
S'il était cardiaque, s'il s'était fracturé un membre,
sa prise en charge serait, à coup sûr, immédiate.
Mais la souffrance psychique peut attendre...
Le peut-elle vraiment dans un pays qui détient le taux de suicide
des jeunes le plus élevé d'Europe ? En France, un tiers
des tentatives de suicide des jeunes sont suivies d'une récidive.
Pourtant seul un tiers de ces tentatives font l'objet d'une hospitalisation.
Faut-il alors s'étonner que le suicide, dans ce groupe d'âge,
soit - juste après les accidents de la route - la deuxième
cause de mortalité ?
La pédiatrie se trouve dans le même état que la pédopsychiatrie,
c'est-à-dire dans ce qu'il faut bien appeler le dénuement.
Les investissements publics se concentrent sur la partie la plus technique
de la médecine, au détriment de l'acte intellectuel fourni
par le médecin, au détriment de sa présence et de
son écoute.
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Paradoxe
encore dans la prise en charge « sociale » des enfants.
Sur les 150 000 enfants « placés »,
combien le sont pour des raisons qui tiennent autant à la pauvreté
des familles qu'à de véritables carences éducatives ?
La moitié, estime ATD-Quart-Monde, qui dénonce ainsi l'instauration
d'un « délit de pauvreté ».
Il ne fait aucun doute que la pratique du placement reste abusive :
la France est l'une des nations développées qui recourent
le plus au placement - solution, certes, parfois indispensable mais qui
devrait, à l'évidence, n'être qu'exceptionnelle. Est-il
vraiment nécessaire de placer un nouveau-né le jour de sa
naissance, sans même avoir fait procéder à une enquête
minutieuse sur la dangerosité supposée de ses parents ?
A-t-on mesuré le caractère absurde du placement dans des
familles d'accueil rémunérées alors que les mêmes
sommes auraient pu permettre le maintien de l'enfant dans sa propre famille ?
D'exceptionnelle, cette mesure est devenue, dans certains départements,
quasi routinière.
Paradoxe aussi dans ce qui prélude au placement. Dans un pays qui
ne cesse d'affirmer le droit des justiciables à se défendre,
les parents auxquels la justice s'apprête à enlever leur
enfant pour le placer n'ont pas accès à leur dossier. Leur
avocat n'a que le droit de le « consulter », pas
même d'en photocopier les pièces, cas unique en droit français.
Comment veut-on que ces parents ne ressentent pas le placement de leur
enfant comme un rapt ? Quel « travail » ces
familles pourront-elles faire pendant le temps du placement, présenté
comme une mesure temporaire ? Dans quelles conditions l'enfant pourra-t-il
leur être rendu ? Par quel enchantement la situation aura-t-elle
pu s'améliorer ?
Les exemples de tels paradoxes fourmillent. Sans doute sont-ils en partie
inévitables, dans une société aussi complexe où
les dispositifs se sont ajoutés les uns aux autres, au fil des
ans, sans faire disparaître les précédents. Ce n'est
que tout récemment que le gouvernement s'est doté d'un ministère
chargé de la famille et de l'enfance, et Mme Ségolène
Royal, sa titulaire, affronte ces problèmes avec détermination.
Mais c'est la société tout entière qui fait face
à un formidable défi. Dans un pays qui compte quatorze millions
de mineurs, qui leur consacre des efforts gigantesques, le moment est
venu de s'interroger non pas sur l'ampleur de ces efforts mais bien sur
leur orientation. Il est temps de se demander s'il existe une véritable
stratégie pour répondre aux besoins immenses, pluridisciplinaires,
des adolescents. Pourquoi sont-ils si violents ? Pourquoi retournent-ils
autant de violence contre eux-mêmes ou, ce qui est la même
chose, contre leurs pairs ? Pourquoi notre société
ne se donne-t-elle pas les moyens de les entendre ? Pourquoi est-elle
à ce point tentée par les réponses répressives
- alors que manquent si cruellement, pour eux, les structures d'accueil
et d'écoute ?De sinistres faits divers
IL faut remonter plus haut. L'immense majorité des problèmes
qui éclatent bruyamment à l'adolescence se sont tissés
beaucoup plus tôt, parfois pendant les premières années
de la vie. La détection précoce est primordiale, et, par
conséquent, les prises en charge dès l'enfance sont essentielles.
Tout cela, on le sait. Pourquoi le fait-on si peu ?
Ce n'est pas là déficit de savoirs. Les savoirs sont là.
Les structures existent. Les bonnes volontés sont nombreuses. Pourquoi
un pays aussi riche en hommes, en connaissances théoriques et pratiques
sur l'enfance ne se donne-t-il pas les moyens d'une refonte radicale de
ses dispositifs ?
Peut-être est-ce parce que le respect de l'enfant n'est pas entré
dans nos habitudes collectives. Certes, l'enfant est au centre de toutes
les préoccupations des adultes, au coeur même du discours
politique. Mais il y a là comme un tic de langage, un abus rhétorique,
comme s'il fallait demander aux mots de suppléer des attitudes
de profonde indifférence ou de total aveuglement, face à
une réalité qui reste tout autre.
Sans doute sommes-nous parvenus à l'amorce d'une prise de conscience.
Il y aura fallu des génocides, des décennies de massacres
ou, plus près de nous, la survenue de sinistres faits divers pour
secouer, s'agissant des enfants, la torpeur ambiante. Ce n'est là
que l'ébauche d'un très long travail, qui repose sur le
simple constat de Witold Gombrowicz : « Tout est cousu
d'enfance. »
Claire
BRISSET
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